La médecine chinoise au plus haut niveau en Occident

dans Phytothérapie chinoise avec 5 commentaires

La médecine chinoise au plus haut niveau en OccidentAyant la chance d’être connecté à de nombreux réseaux au sein du monde de la médecine chinoise, je reçois régulièrement des informations sur des vidéos, des articles, des formations dans divers domaines de la médecine chinoise. Et je peux confirmer qu’aux USA, par exemple, le niveau de l’enseignement et de la pratique de la médecine chinoise est de plus en plus élevé. Cela fait même parfois rêver. Pour illustrer mon propos, je voudrais partager avec vous deux liens. Les deux renvoient à un aspect de la pharmacologie chinoise qui est essentiel et qui pourtant n’est jamais évoqué sérieusement dans la francophonie. Il s’agit de la notion de « dào dì yào cái 道地药材 ».  « Yào cái 药材 » peut être traduit par « matière médicale » ou « substances médicinales ». Il s’agit des substances médicinales brutes que l’on utilise pour préparer les remèdes de la pharmacologie chinoise. « Dào dì 道地 » peut être traduit par « terre d’origine », « lieu d’origine », « du terroir », « authentique » ou encore « originel ». En fait, il s’agit de l’origine géographique d’un produit traditionnel issu d’un terroir et d’un savoir-faire particulier. C’est finalement très proche de notre concept d’AOC : appellation d’origine contrôlée. En clair, « dào dì yào cái 道地药材 » désigne la région précise où est cultivée la qualité supérieure d’une substance médicinale. Cela implique que l’environnement naturel et écologique (sol, climat, géographie…) mais aussi le savoir-faire au niveau de la culture, de la récolte et de la préparation du produit brut soient optimum afin de fournir la qualité supérieure d’une matière médicale.

Ce sujet ne doit pas être considéré comme anecdotique. Penserions-nous boire un Saint-Emilion qui a été produit en Auvergne, un Roquefort frabriqué en Alsace, un jambon de Bayonne élaboré à Nice ? C’est la même chose pour les substances médicinales chinoises. Certaines régions de par leur biotype et le savoir-faire des cultivateurs ont réussi à engendrer des remèdes chinois de meilleure qualité. Car souvent, le fait qu’une substance soit produite au nord ou au sud de la Chine, par exemple, change sa nature et son orientation thérapeutique. C’est ce que j’ai essayé de démontrer dans l’ouvrage « Phytothérapie chinoise : les combinaisons efficaces » https://sionneau.com/livre-medecine-chinoise/livre-medecine-chinoise/phytotherapie-chinoise-les-combinaisons-efficaces

Par exemple, Radix Bupleuri (Chai Hu) qui est le remède le plus utilisé en France et sans doute dans la francophonie, possède des propriétés très différentes selon qu’il provient des provinces du Nord ou du Sud de la Chine.

  • Le Radix Bupleuri (Chai Hu) qui provient des provinces du sud (Si Chuan, Hu Bei, Jiang Su) est nommé Nan Chai Hu (le Chai Hu du Sud) = Buplerum Scorzonerifolium. Il est supérieur pour disperser le foie et éliminer la surpression, comme dans Chái Hú Shū Gān Sǎn  柴胡疏肝散 (Poudre de radix Bupleuri pour drainer le foie), Xiāo Yáo Sǎn 逍遥散 (Poudre pour être libre de toute contrainte) ou Sì Nì Sǎn 四逆散 (Poudre des quatre inversions).
  • Le Radix Bupleuri (Chai Hu) qui provient des provinces du nord (Liao Ning, Gan Su, He Bei, He Nan) est nommé Bei Chai Hu (le Chai Hu du nord) = Buplerum Chinense. Il est supérieur pour harmoniser le shǎo yáng 少阳, disperser le vent chaleur, clarifier la chaleur, comme dans Chái Gě Jiě Jī Tāng 柴葛解肌汤 (Décoction de radix Bupleuri et de radix Puerariae pour libérer la couche musculaire), Dà Chái Hú Tāng 大柴胡汤 (Grande décoction de Radix Bupleuri), Xiǎo Chái Hú Tāng 小柴胡汤 (Petite décoction de Radix Bupleuri).

Autre exemple, il existe deux types de Fructus Schisandrae Chinensis (Wu Wei Zi) qui présentent des propriétés très différentes en fonction du lieu de culture :

  • Bei Wu Wei Zi est le Wu Wei Zi du Nord [Schisandra Chinensis Baill]. Il tend à être astringent, retient le qì du poumon, arrête la transpiration, consolide le jīng et arrête la diarrhée. Il tend aussi à tonifier le cœur, le poumon et les reins. C'est le plus prescrit en clinique. Il est utilisé, par exemple, dans Dū Qì Wán 都气丸 (Pilule du Qi prospère).
  • Nan Wu Wei Zi  est le Wu Wei Zi du Sud [Schisandra Splenanthera Rehd. et Wils]. Il tend à régulariser le qì, à transformer l’humidité et à dissiper les mucosités. Il traite les toux ou l’asthme par vent froid et/ou une accumulation de mucosités. Il n’a pas de propriété tonifiante. Il est utilisé, par exemple, dans Xiǎo Qīng Lóng Tāng 小青龙汤 (Petite décoction du dragon bleu).

Ces exemples sont en réalité assez grossiers et les « substances médicinales authentiques du terroir » (dào dì yào cái 道地药材) répondent parfois à des lieux géographiques très précis qui peuvent être une province, une préfecture, un district voire même un canton… Et toujours en rapport avec un environnement climatique et géographique très spécifique mais aussi un savoir-faire spécial concernant la culture, la récolte et la préparation du remède.


Il a été démontré que les substances médicinales provenant des terroirs d’origines ont une plus grande puissance thérapeutique, plus de principes actifs, un meilleur impact sur la santé des patients. Ainsi, ces « substances médicinales authentiques du terroir » sont donc un des aspects fondamentaux de la pharmacologie chinoise. Leur usage devrait être encouragé par les enseignants, les praticiens et les laboratoires de phytothérapie chinoise au même titre que les méthodes de préparations spécifiques, les fameux Pào Zhì (炮炙).

Pourquoi le titre de ce billet de blog est « La médecine chinoise au plus haut niveau en Occident » ? Alors que dans la francophonie, les notions de pào zhì (炮炙) ou de dào dì yào cái (道地药材) relèvent de la pure science fiction quand ce n’est pas encore totalement ignoré, aux USA, des articles, des vidéos, des formations sur ces sujets (et bien d’autres) sont de plus en plus fréquents et me font dire qu’actuellement le pays Occidental où se développe le plus remarquablement la médecine chinoise TRADITIONNELLE est bien les USA. Il faut s’en féliciter car cela veut dire que dans 15 à 20 ans, nous aurons sans doute le même niveau dans les pays francophones. C’est donc une très bonne nouvelle.

Pour illustrer mon propos, je vous propose de découvrir un article de deux grands spécialistes des dào dì yào cái (道地药材), Guo Ping et Zhao Zhong Zhen ainsi qu’une vidéo de mon ami et confrère Eric Brand, grand amoureux et spécialiste de la matière médicale chinoise. Au moment où j'écris ce billet de blog le professeur Guo Ping donne un séminaire gratuit sur les « substances médicinales authentiques du terroir » à San Diego au Pacific College of Oriental Medicine. Puisse un jour voir nos écoles organiser de tels séminaires pour faire monter le niveau de professionnalisme des étudiants et des praticiens.

Enjoy !

La vidéo :


L'article :

The formation of daodi medicinal materials

 


 

chantalV

03.08.2012 à 10:50 réponse :

Bonjour Philippe,
Cette précision sur la qualité des produits en fonction du lieu où ils sont produits est en effet importante. C’est un principe très connu en phytothérapie. Une plante ne produit pas la même quantité de principe actif et parfois pas la même combinaison de principes actifs selon qu’elle a poussé au niveau de la mer ou en altitude, ou dans tel ou tel type de terrain… ce sujet va me donner l’occasion de compléter mon commentaire du blog précédent. La pharmacopée chinoise est surement très riche et passionnante. Personnellement, je ne la connais pas. Mais pourquoi devrait-on en France faire appel à la pharmacopée chinoise quand on dispose d’un arsenal thérapeutique très important et remarquablement efficace quand on sait s’en servir parmi les plantes qui poussent et sont cultivées sur notre territoire ou dans des pays proches? Ce n’est pas parce qu’on pratique la médecine chinoise que l’on doit s’y cantonner absolument…

Philippe Sionneau

04.08.2012 à 03:39 réponse :

Tu dis : « Cette précision sur la qualité des produits en fonction du lieu où ils sont produits est en effet importante. C’est un principe très connu en phytothérapie. Une plante ne produit pas la même quantité de principe actif et parfois pas la même combinaison de principes actifs selon qu’elle a poussé au niveau de la mer ou en altitude, ou dans tel ou tel type de terrain… »

[Philippe Sionneau répond :] ce qu’ajoute la médecine chinoise, c’est qu’il y a aussi un savoir-faire spécifique au niveau du moment du semis, de la récolte, de la préparation de la substances médicinales qui potentialisent l’efficacité du remède. Il n’y a pas que le biotype, le climat et le lieu géographique.

Tu dis : « ce sujet va me donner l’occasion de compléter mon commentaire du blog précédent. La pharmacopée chinoise est surement très riche et passionnante. Personnellement, je ne la connais pas. Mais pourquoi devrait-on en France faire appel à la pharmacopée chinoise quand on dispose d’un arsenal thérapeutique très important et remarquablement efficace quand on sait s’en servir parmi les plantes qui poussent et sont cultivées sur notre territoire ou dans des pays proches? »

[Philippe Sionneau répond :] c’est un grand débat, en général soulevé par les personnes qui ne connaissent pas ce qu’est véritablement la pharmacologie chinoise et qui disparaît lorsqu’ils l’approfondissent. D’abord, on ne peut pas comparer la phytothérapie européenne contemporaine et la pharmacologie chinoise. Car bien qu’on ait aussi des plantes remarquables, nous avons perdu le savoir-faire, le savoir-prescrire, la finesse qui existaient à l’époque des Paracelse ou que l’on retrouve dans des grandes matières médicales comme le Matthiole du 16ème siècle. Notre phytothérapie européenne a perdu son savoir ancestral. Ok elle a gagné en savoir scientifique, on sait exactement quels sont les composants qui composent chaque plante avec une grande précision. Mais on ne sait plus que telle plante associée à telle autre oriente l’action vers le haut du corps, ou potentialise l’action de la première ou qu’elle diminue les effets secondaires tout en renforçant sa force thérapeutique, etc. Bref, on a perdu le « savoir-prescrire » des anciens. En pharmacologie chinoise, il reste intact. Supprimez Gan Cao, la réglisse, à Xiao Chai Hu Tang et ce n’est plus Xiao Chai Hu Tang, cela n’a plus le même pouvoir de guérison. Et pourtant Gan Cao ce n’est qu’une vulgaire réglisse !! Pourquoi dans Zhen Wu Tang, à l’inverse, il n’y a pas de réglisse !!! Pourtant Zhen Wu Tang intègre Fu Zi dont Gan Cao est la grand atténuateur de ses effets secondaires… Zhang Zhong Jīng était-il cyclothymique ? La phyto chinoise, c’est une gigantesque expérience clinique d’au moins 2000 ans, c’est l’art des substances médicinales authentiques du terroir (dào dì yào cái 道地药材), c’est l’art des combinaisons (dui yao), c’est l’art des préparations des substances médicinales (Pào Zhì 炮炙) et mille autres choses qui ont font un art précis, précieux, puissant. Avec le savoir des anciens et des grands maîtres, la phytothérapie chinoise possède une autre dimension que notre phytothérapie européenne contemporaine. En revanche, ce que l’on peut faire, c’est tenter de trouver les meilleurs endroits en Europe qui réunissent les conditions atmosphériques, géographiques, etc. pour produire des produits équivalents de qualité.

Tu dis : « Ce n’est pas parce qu’on pratique la médecine chinoise que l’on doit s’y cantonner absolument… »

[Philippe Sionneau répond :] Je ne suis pas d’accord avec ça. On peut maitriser différentes thérapeutiques : aromathérapie, nutrithérapie, magnétisme, reiki, fleurs de Bach, etc. Mais on en peut pas maîtrise plusieurs systèmes médicaux. La médecine chinoise n’est pas une méthode thérapeutique, mais un vaste système médical complet qui en plus, comme tu l’as souligné dans un autre commentaire, ne « pense » pas de la même manière que notre approche scientifique, occidentale. Cela demande une vie complète dédiée exclusivement à cet art pour prétendre la maîtriser un peu. Mon expérience me permet de dire aujourd’hui : si tu veux devenir un meilleur acupuncteur, n’étudie pas les fleurs de Bach, mais la phytothérapie chinoise, n’étudie pas l’ostéopathie mais le zhenggu tuina, n’étudie pas la nutrithérapie mais la diététique chinoise, etc. Chaque fois que tu approfondies un pan de la médecine chinoise, tu renforces l’ensemble de ton savoir, de tes connaissances, tu augmentes ton efficacité thérapeutique… Donc, si ! Lorsque l’on veut étudier et surtout pratiquer correctement la médecine chinoise, il faut s’y cantonner et éviter d’aller papillonner ailleurs, au risque de perdre la logique de cette matrice de pensée…

 

chantalV

05.08.2012 à 10:01 réponse :

Merci pour ces précisions sur l’utilisation de la pharmacopée chinoise; je comprends mieux. Evidemment, je suis malheureusement d’accord, on a perdu beaucoup de savoir faire en phytothérapie occidentale. néanmoins, il subsiste quelques produits, conçus à l’époque où ce savoir faire existait encore et qui sont véritablement exeptionnels par leur équilibre et leur puissance quand on a appris à les utiliser. Et on peut encore par la pratique, arriver à cibler un traitement personnalisé par les plantes. J’en ai fait l’expérience. Mais il est vrai que la perte du savoir dans ce domaine ne permet sans doute pas, même avec beaucoup d’intuition d’être aussi précis et aussi fin qu’avec la pharmacopée chinoise quand elle est utilisée dans le système globale de la médecine chinoise.
Enfin, papillonner d’une technique à l’autre n’est certes pas la meilleure façon d’en maîtriser une, encore moins la cohérence d’un système. Je ne peux qu’être d’accord avec tes arguments. Mais néanmoins, sans vouloir tout maîtriser, si on connaît l’efficacité de telle ou telle plante pour tel ou tel problème, il est inutile de s’en priver.

Philippe Sionneau

06.08.2012 à 06:18 réponse :

Oui, tu as raison, si tu connais un super remède hors médecine chinoise, qui pourrait être la clé pour libérer un patient, ça serait dommage de s’en priver. Mais beaucoup de praticiens, par idées préconçues, par manque de courage, par de mauvais conseils ou orientations, n’étudient pas la pharmacologie chinoise et préfère prescrire des fleurs de Bach, de l’aroma ou des compléments alimentaires. Tout ça ets très chouette, et j’ai étudié tout ça avant de me mettre à la médecine chinoise; et je peux dire qu’une fois que tu as été touché par la grâce de Zhang Zhong Jing (张仲景) ou des autres phénomènes de la tradition médicale chinoise, tu sais que c’est vraiment une grave erreur de ne pas se vouer corps et âme à ce puissant outil thérapeutique. Merci beaucoup pour ces échanges. grin

Claire

25.10.2012 à 12:39 réponse :

cet échange a été passionnant à lire et me donne envie de m’y frotter ... En tout cas me fait réfléchir. J’ai une question; Comment fait on en France pour prescrire de la phyto chinoise. On oriente les patients en ventes par correspondance? Y a t-il des pharmaciens qui s’y intéressent? En pratique ça se passe comment?. surtout si on est médecin et qu’on ne tient pas particulièrement à se faire radier de l’ordre…

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