Interaction phytothérapie chinoise / médicament de synthèse : développer le professionnalisme

dans Médecine chinoise : divers Phytothérapie chinoise avec 3 commentaires

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A l’occasion de mes enseignements, j’ai la chance d’échanger avec des collègues de plus en plus compétents et attentifs dans leur travail de praticien. Récemment mon ami Luca Vogini m’a rapporté une observation qui nous a paru utile de partager avec vous. Elle permet, à mon avis, de souligner le fait que nous devons maintenant développer notre propre expérience clinique et l’adapter à notre environnement européen. Luca, non-médecin, consulte en Suisse où sa pratique est légale et libre. Voici son cas clinique.

La patiente se nomme Marta et elle est née en 1953. Date de la première consultation : décembre 2010. Elle travaille dans l’industrie pharmaceutique. Elle est visiteuse médicale et rencontre quotidiennement des médecins pour les informer sur l’usage des médicaments.

Elle vient consulter pour un état dépressif, un « burn out » professionnel qui se manifeste par un état de peur, un manque de dynamisme mental, une diminution de la mémoire récente, des nausées, de l’inappétence, une arthrite psoriasique avec douleur pongitive et gonflement des articulations des mains et pieds.

Sa langue est plutôt violacée, avec les bords de couleur plus foncée, elle est congestionnée, gonflée et indentée. Le pouls est profond et fin.

Luca décide de traiter la patiente avec l’aide de l’acupuncture et de la pharmacologie chinoise. En parallèle, Marta prend un antidépresseur  de la catégorie des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine.

Après quelques temps, la patiente note une tendance anormale à faire des hématomes sous cutanés, dont elle ne souffre pas d’habitude. Après quelques semaines de traitement, elle arrête la phytothérapie chinoise et continue l’antidépresseur pendant plusieurs mois en compagnie de l’acupuncture pour contrôler la maladie rhumatologique. Le premier épisode s’arrête là.

Presque 1 an et demi après, en avril 2012, Luca revoit Marta pour une rechute avec un cadre clinique similaire. Il lui donne un nouveau traitement de phytothérapie chinoise pris en même temps que l’antidépresseur de synthèse de même classe que celui du premier épisode. Hors, ils se rendent compte qu’elle déclare les mêmes effets secondaires que la première fois : des hématomes sous-cutanés.

Cette fois, grâce à son bagage médical, la patiente a l’intuition qu’ils pourraient être induits par une interaction entre son antidépresseur et certaines plantes. Luca décide d’interrompre le remède chinois, la patiente garde son antidépresseur et à partir de ce moment-là, les hématomes disparaissent. De toute évidence, nous sommes face à une interaction médicamenteuse.

L’explication pourrait être la suivante : les thrombocytes contiennent de la sérotonine et cet antidépresseur, inhibiteur de ce neurotransmetteur peut ainsi potentialiser les antiplaquettaires et ainsi les saignements. D’ailleurs parmi les effets secondaires de cette classe de médicaments nous trouvons : hémorragies, par exemple au niveau du système gastro-intestinal, de la peau et des muqueuses, etc. Il est donc probable que l’une des substances médicinales données par Luca ait augmentée l’effet indésirable de ce médicament. Dans les différents traitements chinois absorbés par la patiente, quelques remèdes étaient toujours présents :

  • Radix Bupleuri (Chai Hu),
  • Radix Albus Paeoniae Lactiflorae (Bai Shao Yao),
  • Radix Glycyrrhizae Praeparata (Zhi Gan Cao),
  • Fructus Citri Sacrodactylis (Fo Shou),
  • Cortex Magnoliae Officinalis (Hou Po),
  • Rhizoma Atractylodis (Cang Zhu),
  • Radix Angelicae Sinensis (Dang Gui).

On peut constater qu’aucun remède n’a une action drastique sur l’activation du sang et la dispersion de la stase (huó xuè qū yū 活血祛瘀) et aucun casse le sang (pò xuè 破血). Globalement ce sont des remèdes modérés et toujours très bien tolérés. En revanche, nous savons que Radix Angelicae Sinensis (Dang Gui) possède une action antiagrégant plaquettaire marqué, similaire à l’aspirine. Il a été démontré que Radix Angelicae Sinensis (Dang Gui) inhibe la production de thrombus. De plus, elle semble potentialiser la Warfarine (antigoagulant). Dans une moindre mesure Radix Albus Paeoniae Lactiflorae (Bai Shao Yao) mais aussi Cortex Magnoliae Officinalis (Hou Po) possèdent un léger effet antiagrégant plaquettaire et anticoagulant.

Il est donc probable que le médicament inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine et ces trois substances médicinales ainsi qu’une faiblesse constitutionnelle de la patiente aient participés à cet effet secondaire mineure. Il est possible aussi que l’une de ces substances médicinales potentialise l’inhibition de la recapture de la sérotonine. Aucune étude sur le sujet n’a été faite.


Conclusions de Luca Vogini

  • Une fois encore j’ai pris conscience de l’étendue, de la subtilité et de la complexité  de cette merveilleuse médicine mais aussi celle de l’être humain.
  • Les variables qui peuvent influer sont tellement nombreuses, qu’il faut être toujours attentif et avoir un esprit professionnel. Nous devons affuter notre sens de l’observation lorsqu’on traite un patient avec la phytothérapie chinoise lorsqu’il prend un traitement médicamenteux. Et si l’on observe une interaction, on devrait le partager avec l’ensemble de la profession.
     

Conclusions de Philippe Sionneau :

Il existe deux attitudes face à l’observation faite par notre confrère Luca :

  1. S’inquiéter et dénigrer la pharmacologie. C’est ce que fait une grande partie des ignorants de notre profession. C’est contreproductif et joue contre l’intérêt de la médecine chinoise y compris de l’acupuncture. Ce dénigrement provient toujours de ceux qui n’ont pas réussi à prendre le train du développement de la médecine chinoise en Europe en marche. Ils font déjà partie du passé.
  2. Se réjouir de cette belle observation qui vient renforcer notre connaissance au sujet des incompatibilités probables et le plus souvent mineures entre les substances médicinales chinoises et la pharmacopée chimique conventionnelle. Nous développons notre propre expérience clinique. C’est très bon signe.

Nous devons prendre conscience que les médicaments de synthèse de la médecine conventionnelle tue tous les jours et nous n’entendons rarement les journalistes s’offusquer de l’hécatombe. Et pourtant elle est réelle. Aux USA, une étude scientifique sérieuse démontre que les traitements de la médecine conventionnelle constituent la 3ème cause de mortalité aux USA. La pharmacologie chinoise est à l’inverse extrêmement sûre, efficace, peu iatrogène. Certes, il existe certaines formes d’incompatibilités entre quelques substances de ces deux médecines et c’est normal car elles sont toutes les deux très puissantes. Mais elles sont pour la plupart connues des experts et nous devons poursuivre notre étude sur le sujet. J’ai eu l’opportunité de donner un enseignement spécifique sur le sujet et il me semble essentiel que les formateurs en phytothérapie chinoise introduisent ces données capitales afin que cet art reste l’une des médecines les plus sûres et efficaces du monde. J’encourage également les professionnels à communiquer à la profession le résultat de leur observation comme vient de le faire notre confrère Luca Vogini. Nous devons nous extirper de notre isolement, échanger davantage, communiquer le fruit de notre expérience. C’est aussi grâce à cela que notre profession trouvera sa place dans nos sociétés européennes.

 

 

AoDa

19.06.2012 à 11:13 réponse :

Si mes souvenirs sont bons, Luca est également infirmier. Ce qui je crois potentialise considérablement son approche thérapeutique comme l’atteste les éléments de Médecine Occidentale apportés par Luca dans ses explications. Etant personnellement dans le même cas, j’encourage les praticiens de MTC à enrichir leur connaissances de Médecine Occidentale, et ce, afin d’acquérir des paradigmes multiples dans la lecture de la maladie.

Lian Hua

18.03.2014 à 09:13 réponse :

Je suis d’accord avec Philippe, il faut se réjouir de pouvoir observer les interactions possibles entre les deux pharmacopées et le plus important est de transmettre absolument ces connaissances acquises au fil du temps de manière à faciliter cette “cohabitation” inévitable entre les deux médecines. Tout cela pour le meilleur traitement possible pour le patient. Comme dans beaucoup de domaines la communication est indispensable pour progresser.

nathaliebor

08.07.2015 à 03:04 réponse :

Je reçoit aussi des patients polimedicamentes. Le réflexe c est de vérifier pour ceux qui ont fait la formation xiao fang de Philippe dans la liste des interactions.
Il M arrive de devoir prendre plus de temps sur une prescription mais c edt plus sûr pour le patient.

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