Acupuncture : La Voie la moins fréquentée

dans Acupuncture avec 6 commentaires

Il y a quelques jours j'ai été interpelé par Clément Courteau, représentant de l'Association des étudiantes et des étudiants en acupuncture du Collège de Rosemont à Montréal (Québec). Certains de ses camarades, certains de ses professeurs mais aussi certains praticiens ont eu l'impression que l'acupuncture avait été mal représentée par l'Ordre des Acupuncteur du Québec dans un média très important dans ce pays : "Le Devoir". Cet article m'a aussi mis assez mal à l'aise, mais j'ai l'habitude ! J'ai eu l'impression que ce texte ne pouvait répondre qu'à une stratégie particulière et volontaire de la part de l’OAQ tant il me semblait péjoratif ou tout au moins maladroit pour l'acupuncture. Mais comme je viens de le dire, j'ai l'habitude d'avoir les poils qui se hérissent quand je lis des articles censés présenter l'acupuncture ou la médecine chinoise dans les grands médias. Donc, je me résigne souvent en espérant que les nouvelles générations mettent de l’ordre dans nos connaissances encore insuffisantes.

Dans tous cas, comme ces étudiants ne semblent pas avoir le moyen de faire entendre leur parole, j'ai accepté de publier ce "droit de réponse". Bien évidemment, l'OAQ est également bienvenu pour donner son avis s'il le souhaite. L'objectif pour moi n'est pas de prendre parti pour l'un ou l'autre mais de permettre à des futurs confrères de pouvoir s'exprimer sur l'essence de leur art. N'hésitez pas à donner votre avis, à vous exprimer. Vous êtes tous les bienvenus. Philippe Sionneau

La Voie la moins fréquentée

acupuncture_quebecDans l'article « Une médecine venue d'ailleurs », l'acupuncture est présentée sous un angle qui, sans être mensonger, occulte une part importante des richesses de cette médecine. J'ai tenté de mettre en lumière ce qui n'y apparaissait pas, c'est-à-dire le renversement qu'elle opère dans la conception de la maladie et de la guérison par rapport à la médecine expérimentale. Des textes fondateurs de la médecine chinoise à la pratique de l'acupuncture, suivez mon raisonnement jusqu'au cœur du débat dans lequel il s'inscrit.

« Jadis, les humains vivaient jusqu'à l'âge d'un siècle, mais de nos jours ils sont épuisés dès la cinquantaine. Qu'en est-il de cela? Pourquoi cela? (1)  » Ainsi l'Empereur Jaune interroge-t-il QiBo, l'illustre médecin. « Alors, répond le maître, ils vivaient conformément à la Voie, se subordonnant au principe de l'alternance des saisons. Ils vivaient une vie sobre, sage et simple. » QiBo expose ensuite ces principes par lesquels l'homme peut éviter la maladie et vivre jusqu'à son terme le temps qui lui est alloué sur Terre. Le souverain, trouvant cette exposition juste, mais peu représentative de la situation réelle des habitants du royaume, déplore : « Moi qui suis le chef d'un grand peuple, et qui devrais en percevoir l'impôt pour le redistribuer et nourrir les nécessiteux, je constate avec affliction que je n'en perçois point car mon peuple est ravagé par la maladie. Je préférerais que l'on cesse de lui administrer de ces remèdes qui l'empoisonnent pour n'employer désormais que les fines aiguilles d'acupuncture qui pénètrent les vaisseaux et harmonisent les souffles. M'enseignerez-vous cette science pour qu'elle ne se perde pas et soit transmise intacte aux générations futures? »

L'acupuncture est née de l'insuffisance de la prévention pour le maintien de la santé. Les chinois de l'Antiquité projetaient dans leur propre antiquité, c'est-à-dire dans la mythologie, l'époque à laquelle les hommes évitaient par la vertu le développement des maladies, car force leur était de constater que la Voie ne pouvait être le chemin de tous. D'ailleurs, plusieurs traités médicaux rassemblent des grilles diagnostiques ainsi que des stratégies thérapeutiques à mettre en branle lorsque la prévention n'est plus même envisageable : lors des périodes de grandes épidémies. Ces méthodes de traitement n'auraient pas été intégrées à la médecine chinoise si elle n'avait eue de vocation curative.

On peut prendre aujourd’hui la mesure dans laquelle le vœu de l'Empereur Jaune est exaucé par le grand intérêt dont l'acupuncture est l'objet au sein de la communauté scientifique et médicale. En 2011, plus de 700 articles ont été publiés à ce sujet dans les revues spécialisées. Bien entendu, tous ces articles ne prouvent pas l'efficacité curative de l'acupuncture, et une revue plus approfondie serait de mise pour prendre le pouls des résultats à cet égard. Une donnée révélatrice est toutefois facilement accessible, sur le site de l'Organisation Mondiale de la Santé qui établit une liste des conditions pour lesquelles le traitement par acupuncture se révèle efficace (2). Parmi elles, on retrouve les entorses, les épicondylites, la dysenterie et le rhume des foins, affections lésionnelles ou infectieuses pour lesquelles l'acupuncture ne serait d'aucun secours selon M. Bourret. À cette liste  s'ajoutent encore bien d'autres désordres, comme l'arthrite rhumatoïde ou goutteuse, l'hypertension artérielle, le syndrome de Raynaud et des douleurs de toutes sortes.

En tant qu’étudiant finissant du programme d’Acupuncture du Collège de Rosemont, seul établissement autorisé pour l'enseignement de l'acupuncture au Québec, je constate comment le département oriente sa formation, théoriquement comme pratiquement, vers le curatif. Les cours du Collège sont construits sur la base d'une acupuncture favorisant la guérison, avec en tête la prévention comme idéal, idéal malheureusement souvent inatteignable et différent de la réalité clinique. Ainsi, en tant qu'étudiant stagiaire, je reçois des patients atteints de maux plus ou moins sévères et je suis encouragé à planifier et prodiguer des traitements visant la guérison, avec des résultats souvent appréciables. D'ailleurs, on consulte au Québec très peu en acupuncture pour de la prévention : on le fait surtout suite à une expérience particulièrement positive de guérison, suite à laquelle il n'y a plus de doute sur l'efficacité des traitements acupuncturaux.

La médecine traditionnelle chinoise s'intéresse aux subtilités premières de l'apparition d'un déséquilibre. De ce fait, prévention et guérison ne sont pas deux objets distincts, mais deux moments d'un continuum organique entre la vie et la mort que nous désignons du terme problématique de santé. La disparition de symptômes légers, bien avant le développement d'une maladie, est à la fois curative en ce qu'elle en débarrasse l'organisme et préventive en ce qu'elle empêche l'implantation de maux plus profonds. Si nous reconnaissons toutefois que l'acupuncture ne guérit rien, c'est que nous plaçons la guérison à l'extérieur de toute technologie médicale. Ce processus est celui de l'être vivant qui en est le sujet – ou l'objet – : il n'y a que l'humain qui guérit et l'acupuncture lui permet, en ajustant son organisme selon le déséquilibre qu'il supporte et qu'il intègre peu à peu en lui, de rétablir l'état de santé qu'il avait quitté. Tant que les conditions de possibilité d'une existence préventive, utopie médicale qui supprimerait l'acte thérapeutique, ne seront pas libérées, la médecine, discipline intermédiaire, devra s'adonner à favoriser la guérison. C'est ce pont que nous, acupuncteurs et futurs acupuncteurs, établissons entre l'équilibre et la maladie, qui fait de notre discipline une voie de réconciliation de l'humain avec sa corporalité, de réappropriation de sa santé. Peut-être mène-t-il plus loin encore.

Clément Courteau, représentant de l'Association des étudiantes et des étudiants en acupuncture du Collège de Rosemont.

J'aimerais remercier chaleureusement Stéphanie Racette et Yanik Delvigne pour leur aide dans la rédaction de cet article.

 

Notes

(1) Traduction libre de passages du Pivot spirituel (Ling Shu) et du livre desSimples questions (Su Wen) dans le Classique de l'Empereur Jaune (HuangDi NeiJing).

(2)  Organisation Mondiale de la Santé, Acupuncture: review and analysis of reports on controlled clinical trials, Genève, 2002

 

katiastlouis

13.03.2012 à 12:48 réponse :

Je voudrais le partager sur facebook… mais j’y arrive pas.  Je vais continuer d’essayer !

CVC

13.03.2012 à 02:57 réponse :

Bravo Clément! J’avais aussi eu un certain malaise face à ce texte publié dans le Devoir. Merci de remettre les pendules à l’heure!

Chantelle

Philippe Sionneau

13.03.2012 à 04:58 réponse :

katiastlouis,

Normalement le partage sur FB est automatique, je viens de le faire et c’est un simple clic !

Jean Levesque

13.03.2012 à 10:32 réponse :

Mes félicitations Clément et merci Philippe de permettre cette diffusion d’idées

Jean Levesque

15.03.2012 à 06:45 réponse :

le lien avec le Devoir ne permet pas d’accéder à l’article intégral, je me permets donc de l’indiquer ci-dessous pour celles et ceux qui souhaitent le consulter et se faire une idée claire du débat.
http://www.ledevoir.com/societe/sante/335282/une-medecine-venue-d-ailleurs-l-acupuncture-se-veut-une-medecine-preventive
Bonne lecture

Trebor

29.08.2012 à 12:48 réponse :

Cher Monsieur Courtaut,

Je suis fondamentalement d’accord avec votre analyse de l’acupuncture ; d’une part ; la réalité qu’elle ne guérit pas et que ce n’est pas son rôle, elle accompagne une personne qui ne peut guérir que par elle-même ; d’autre part, le fait qu’il n’y a pas de coupure entre prévention et cure. L’acupuncture peut même être un outil pour aider une personne à s’intérioriser, soit directement, soit par l’intermédiaire d’une technique de travail intérieur, la plus adaptée au sujet. Il n’y a pas de prévention sans accès au shen et aucun accès au shen sans participation active à une pratique intérieure. Il y aurait long à dire sur ce sujet qui n’a jamais été abordé. Il existe cependant des pratiques et des expériences individuelles, mais aucun échange collectif. Le sujet reste encore tabou car nous vivons dans une humanité où la notion d’intériorité est exclue de tout processus, pas seulement thérapeutique.

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