wǔ xíng 五行 = cinq éléments, cinq phases ou cinq mouvements ?
Dans Théories fondamentales
Par Philippe Sionneau
Dans cette profession naissante qu’est la médecine chinoise en Occident, nombreux sont les problèmes qui s’opposent au développement orthodoxe et harmonieux de ce système médical. L’un des problèmes centraux est la mauvaise connaissance du chinois médical dans le milieu enseignant. Il en découle des traductions approximatives, incohérentes, parfois même erronées. Professeurs, élèves et praticiens n’ont aucune terminologie commune pour communiquer et s’entendre. Or, la langue chinoise est essentielle pour la médecine chinoise, depuis son origine, tout au moins pour sa transmission. Pour illustrer mon propos, je vais prendre l’expression courante wǔ xíng 五行 qui, selon les auteurs, est traduite par cinq éléments, cinq phases ou cinq mouvements.
Que signifie « Wǔ Xíng 五行 » ?
L’eau, le bois, le feu, la terre et le métal, bien que pouvant être les substances eau, bois, feu, terre et métal, elles-mêmes, ne sont généralement pas les aspects matériels de ces cinq « aspects ». Les wǔ xíng 五行 sont plutôt les cinq qualités, les cinq propriétés, les cinq natures universelles qui caractérisent l’ensemble des objets ou phénomènes de notre univers manifesté. Ils correspondent aussi aux cinq cycles du processus naturel et irréversible de l’évolution et des transformations naturelles de toute chose et de tout être. En d’autres termes, ce sont les cinq étapes du cycle croissance/décroissance du Yin et du Yang qui est à l’origine de toute manifestation, ou bien encore, les cinq temps de l’incessante valse des transformations qui est à l’origine de notre monde.
Toutes ces idées impliquent l’idée de cycle, de transformation, de mouvement. C’est la raison pour laquelle je préfère traduire wǔ xíng 五行 par « cinq mouvements ». Mais nous pourrions aussi dire cinq phases, cinq temps de transformations, cinq phases de changement, etc. En revanche le terme cinq « éléments » me paraît impropre et trop imprégné de la pensée grecque. Bien qu’au départ, les cinq mouvements étaient décrits comme des matériaux, très vite, ils constituèrent les emblèmes des mouvements et des transformations du Yin et du Yang. L’éminent sinologue et philosophe Feng You Lan dit dans son « Précis de l’histoire de la philosophie chinoise » (Ed. mail) : « Le terme wǔ xíng se traduit habituellement par : les cinq éléments. Nous ne devrions pas, cependant, les considérer comme des éléments statiques, mais plutôt comme cinq puissances dynamiques réagissant l’une sur l’autre »…
Mon amie Elisabeth Rochat de la Vallée souligne qu’initialement le terme « élément » dans le contexte philosophique grec incorporait une idée de dynamisme. Malgré toute l’admiration que j’ai pour elle, cela ne suffit pas pour traduire xíng 行 par « élément ». En outre, dans l’idée du public occidental, même érudit, ce terme « élément » est plutôt associé aux quatre composants primordiaux quasi-physiques qui constituent toutes choses (eau, air, terre, feu), ce qui me semble éloigné de l’idée de phase, de cycle, de mouvement qu’intègrent les wǔ xíng 五行. Il faut savoir, que les chinois sont plus intéressés par savoir comment les choses évoluent, agissent et interagissent les unes par rapport aux autres, que par leur composition physique même. C’est ce qui fait que l’anatomie physique est complètement atrophiée, délaissée en médecine chinoise alors que les relations subtiles entre les différents composants du corps sont très précises.
Que signifient les idéogrammes wǔ xíng 五行 ?
L’étude du caractère wǔ xíng 五行 clos à mon avis définitivement le débat :
wǔ 五 signifie cinq, sans aucune ambiguïté.
Selon les dictionnaires modernes, xíng 行 est traduit par marcher, avancer, se déplacer, se mouvoir, circuler, mouvement mais aussi, sous la prononciation « hang », le même caractère veut dire route, chemin, mais également provisoire, temporaire…
Xíng 行 est composé de deux parties. Celle que gauche signifie « carrefour » d’une route. Associée à celle de droite, elles correspondent au pas du pied droit et au pas du pied gauche. Le tout donnant l’idée d’une marche sur un chemin au niveau d’un carrefour. La marche donne une idée de mouvement. Mais à quoi correspond la notion de carrefour ? Il s’agit de la rencontre du Yin et du Yang qui induit le mouvement. Or, nous parlons de « cinq » mouvements. Aussi, nous pouvons en déduire que le yīn yáng induit cinq cheminements, cinq circulations temporaires du Qi. Nous disons « temporaires » car c’est l’un des sens du caractère xíng 行 et parce que ces mouvements sont des phases successives, ponctuelles, temporaires qui rythment le cycle de croissance/décroissance du yīn yáng.
En conclusion
Au final, nous retiendrons que wǔ xíng 五行 intègre une notion de circulation, de mouvement, de cycle que ne traduit pas le terme « élément ». Dans ce contexte, le mot « mouvement » est bien plus adapté. Wǔ xíng 五行 décrit aussi une notion de propriété, de qualité qui conforment, qui spécifient l’ensemble des phénomènes que ne traduit pas le terme « phase ». « Mouvement » ne traduit pas non plus la notion de qualité. En revanche il fait partie des termes couramment utilisés dans les dictionnaires de chinois occidentaux pour l’idéogramme xíng 行, ce qui n’est pas le cas de phase.
La majorité des étudiants et des enseignants n’ont pas conscience de la très grande précision des termes employés en médecine chinoise et de l’importance de langue chinoise dans la transmission de son savoir depuis des siècles. Une expression ne peut pas toujours être remplacée par une autre et chacune véhicule tout un univers de compréhension. Prenons par exemple, les principes thérapeutiques liés à l’humidité.
Lorsqu’on dit « chasser l’humidité » (qū shī 祛湿), cela signifie évacuer une humidité d’origine externe qui est généralement au niveau de la surface du corps, des articulations, des méridiens. Cela fait appel à une situation pathologique très particulière, à une stratégie thérapeutique et à des substances médicinales spécifiques (souvent piquantes).
Lorsqu’on dit « assécher l’humidité » (zào shī 燥湿), cela évoque le traitement de l’humidité surtout interne et abondante avec des substances médicinales amères (chaudes ou froides selon la nature de l’humidité). Cela correspond donc à un principe thérapeutique et des remèdes différents de la situation précédente.
Lorsqu’on dit « transformer l’humidité » (huà shī 化湿), cela signifie transformer métaboliquement l’humidité qui est accumulée dans le foyer central grâce à des substances médicinales aromatiques [telles que Fructus Amomi (Sha Ren), Cortex Magnoliae Officinalis (Hou Po), Rhizoma Atractylodis (Cang Zhu)…]. Là encore, cela correspond à une situation pathologique, à une stratégie thérapeutique, à des remèdes précis qui n’ont rien à avoir avec les précédents.
Lorsqu’on dit « faire s’écouler – ou éliminer – l’humidité » (lì shī 利湿), cela évoque une évacuation de l’humidité, le plus souvent interne, par voie urinaire. Que ça soit en acupuncture ou en pharmacologie, cela correspond à une action diurétique pour se débarrasser de l’humidité située au niveau de la vessie, de la matrice, de la peau par exemple ou combinée à des mucosités. L’action sur l’humidité n’est pas la même que dans les trois premiers cas.
Lorsqu’on dit « exsuder l’humidité » (shèn shī 渗湿), cela évoque une évacuation douce de l’humidité, par voie urinaire, grâce à la saveur insipide (Dan). Des remèdes tels que Sclerotium Poriae Cocos (Fu Ling), Rhizoma Alismatis (Ze Xie), Semen Plantaginis (Che Qian Zi), Sclerotium Polypori Umbellati (Zhu Ling) possèdent cette caractéristique d’être des diurétiques « doux » par leur saveur insipide. On les utilise quand l’accumulation d’humidité est due à un vide et que l’on ne peut pas drainer trop fortement au risque de léser davantage le Zheng Qi (Qi régulier). C’est à nouveau une situation et une stratégie thérapeutique différentes de toutes les précédentes.
Cela signifie que pour un même facteur pathogène, ici l’humidité, il existe différentes situations pathologiques qui correspondent à des stratégies thérapeutiques spécifiques et donc des points d’acupuncture, des plantes médicinales différentes. Or, en langue chinoise, le terme utilisé va immédiatement informer le lecteur, le médecin, l’étudiant, le professeur sur le type d’humidité et son univers thérapeutique.
Or, il est très courant que des ouvrages d’auteurs connus ou des enseignants utilisent le même terme pour toutes les catégories d’humidité. Ils ne tiennent pas compte de la richesse et de la précision de la terminologie de la médecine chinoise. Nous perdons tous en efficacité, clarté et rigueur. Ce n’est pas acceptable dans une science médicale. Même s’il ne faut pas être obsédé par la terminologie de la médecine chinoise, il faudra bien que notre profession se dote d’une langue commune permettant à tous ses acteurs de communiquer avec fluidité et compréhension.
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