Le principe de contrôle des cinq mouvements est plus qu’une simple restriction
Dans Théories fondamentalesPar Philippe Sionneau
Le principe de contrôle est une régulation naturelle
Si tout ce qui est vivant dans la nature semble naître, se développer, arriver à maturité, grâce au principe d’engendrement (Sheng), un autre principe gouverne les relations des phénomènes entre eux. C’est le principe de contrôle : kè 克. Ke, signifie littéralement contrôler, vaincre, maîtriser, dompter. Il est nécessaire de clarifier la signification exacte du terme Ke dans le contexte médical chinois. Si nous pouvons dire que le principe Sheng est l’accélérateur qui anime la vie, Ke en est le régulateur. La régulation est aussi utile que l’accélérateur. Elle permet l’équilibre, l’harmonie sans laquelle les manifestations sortiraient du processus naturel et généreraient dysharmonie et calamités. Ainsi, les cinq mouvements s’autocontrôlent, s’auto-équilibrent selon la loi du contrôleur (mouvement qui précède la mère) qui contrôle le contrôlé (mouvement qui suit la mère). J’insiste pour dire qu’il s’agit bien d’un principe de régulation. Ainsi, l’eau contrôle le feu, le feu contrôle le métal, le métal contrôle le bois, le bois contrôle la terre et la terre contrôle l’eau.
shēng 生 : principe d’engendrement
kè 克 : principe de contrôle
Le principe de contrôle est plus qu’un contrôle : c’est une collaboration active
Mais pour bien comprendre les Wu Xing, il est essentiel d’analyser ce que signifie ici « contrôle », « régulation ». Ke représente une participation active plus qu’un contrôle répressif. Ke n’est pas un mécanisme antagoniste de contrôle, d’asservissement qui vise à soumettre un mouvement par un autre. Il est difficile de dire que le mouvement feu vit normalement sous la restriction de l’eau. Ke est davantage un mécanisme de régulation, d’harmonisation. Le feu vit sous l’influence de l’eau, grâce à l’aide que lui porte l’eau mais certainement pas sous son joug. Ke est une influence positive, participative qui vise à favoriser le bon fonctionnement des cinq mouvements. C’est un processus physiologique, normal. En fait, Ke permet, certes de modérer, d’inhiber en cas d’excès mais aussi de soutenir quand il y a faiblesse ou tout simplement aider quand tout va bien. Son objectif est de collaborer, de réguler et non pas seulement de refréner. Contrôler un mouvement, c’est le ralentir quand il va trop vite ou l’accélérer quand il va trop lentement. C’est aussi cela Ke. Le Yi Bian (1) (Marchepied [pour accéder] à la médecine) illustre de manière limpide la notion de contrôle au niveau des cinq organes Zang : « Le bois disperse la terre (2), ainsi la stagnation [de Qi] de la rate est mobilisée (i.e. éliminée). Le métal reçoit [l’aide du] feu ainsi le froid du poumon est dissipée. Les reins reçoivent [l’aide de] la fortification et du transport de la rate, ainsi l’eau ne déborde pas. Le foie reçoit [l’aide de] la rétention et de la contention du métal ainsi le bois ne souffre pas de la dispersion. Les gens savent que l’engendrement (Sheng) c’est engendrer (produire), mais ne savent pas que le contrôle (Ke) c’est [également] engendrer ». On comprend ici que le principe de contrôle sert clairement à secourir le contrôlé grâce à l’action du contrôleur en cas de pathologie de type plénitude. Nous sommes loin de l’image de la restriction du contrôleur sur le contrôlé, systématiquement proposé en Occident. Dans des termes assez similaires Zhou Xue Hai dans le Du Yi Sui Bi (3) (Essai sur les lectures médicales) au chapitre « soutient/contrôle et engendrement/production » explique que le contrôle doit être plus assimilé à un soutien qu’à une restriction.
Dú Yī Suí Bǐ 读医随笔 (Essai sur les lectures médicales)
Zhōu Xué Hǎi 周学海
Chapitre « soutient/contrôle et engendrement/production » (承制生化论)
Le principe Ke est plus qu’un contrôle : c’est une transmission du Qi
Le mouvement qui contrôle lègue un peu de son Qi au mouvement contrôlé. Il y a un don, un transfert du Qi du contrôleur vers le contrôlé. Ainsi, la nature du contrôlé se compose aussi d’une parcelle de l’énergie de son contrôleur. Concrètement, le mouvement feu est contrôlé par le mouvement eau. Lors du contrôle, l’eau transmet une partie de son Qi au feu et le Qi de l’eau agit dans le feu. Donc dans le feu il y a aussi le Qi de l’eau. Le feu pour être feu doit contenir du Qi de l’eau, sans le Qi de l’eau, le feu n’est pas le feu. Ke est une transmission du Qi du mouvement donneur (contrôleur) qui favorise l’harmonie du mouvement récepteur (contrôlé). C’est aussi cela Ke. Prenons un autre exemple pour clarifier cette idée. Le mouvement de la terre se fait en partie grâce à l’action du Qi du bois qui est en lui. Dans l’organisme, le Qi du foie/bois aide celui de la rate/terre à monter, alors que le Qi de la vésicule biliaire/bois aide celui de l’estomac/terre à descendre. Les deux Qi du bois aident donc la terre dans sa montée/descente. Nous voyons ici que Ke est bien plus d’une action restrictive, c’est une action de collaboration.

NOTES
(1) Ouvrage publié sous la dynastie Qing en 1751 et écrit par He Meng Yao (1692- ?). Ce livre traite des Zang Fu, des méridiens, de physiologie, de physiopathologie, de médecine interne, de diagnostic, de méthodes thérapeutiques et de formules. On y trouve de forts beaux textes qui éclairent tant la théorie que la clinique. He Meng Yao qui fut l’auteur d’autres ouvrages, peut être considéré comme un continuateur des idées de Zhang Jie Bin et de l’école de le la tonification tiède. Cependant, on voit aussi dans son œuvre l’influence des théories de Zhang Zhong Jing, Liu Wan Su, Li Dong Yuan et Zhu Dan Xi.
(2) Le terme disperser (Shu) signifie faire s’écouler, ouvrir un passage, éliminer, disperser, draguer un cours d’eau. L’idée est de nettoyer un cours d’eau afin que le flux s’écoule normalement, sans obstacle. Dans ce contexte, le foie dégage la stagnation du Qi de la rate pour lui permettre un meilleur fonctionnement.
(3) Ouvrage publié sous les Qing, en 1891 et écrit par Zhou Xue Hai (1856-1906). Zhou Xue Hai est probablement l’auteur le plus prolifique de la fin des Qing. Il avait un don particulier pour synthétiser les enseignements de maîtres antérieurs. Il le fit notamment avec ceux de Zhang Yuan Su et Liu Wan Su deux célébrités de la « médecine Jin/Yuan », mais aussi ceux de Ye Tian Shi et de Zhang Lu, deux grandes références de la dynastie Qing. Il avait la réputation d’être aussi un clinicien hors paire en particulier pour soigner les maladies récalcitrantes et complexes.
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