La notion de « terrain » en médecine chinoise

Par Philippe Sionneau

Article paru dans la revue Biocontact de Novembre 2006

Introduction :

On peut définir le terrain comme étant l'état général du corps avant apparition de la maladie. Cette constitution qui dépend de différents paramètres va influencer la manière dont le corps se défend contre les affections ou favoriser l'apparition de déséquilibre. C'est le terrain qui fait que l'on est résistant aux grippes l'hiver ou au contraire qui fait que l'on souffre d'une maladie cardiaque ou rénale. Sachant cela, il est possible de recherche ses forces et faiblesses, afin d'une part de découvrir nos risques de maladies et d'autre part de prévenir celles-ci. La médecine chinoise a développé tout un système d'analyse permettant de connaître nos tendances pathologiques et vitales, pour développer une stratégie de prévention adaptée à notre terrain de base.

De quoi dépend le terrain selon la médecine chinoise ?

Plusieurs paramètres influencent notre terrain. Cependant, nous pouvons dire que quatre facteurs sont plus importants selon la vision chinoise de l'être humain. Nous pouvons les détailler afin de comprendre leur importance pour notre santé.

L'essence du ciel antérieur : le terrain innée

En médecine chinoise, on distingue deux stades fondamentaux. Le premier est ce qui relève de l'hérédité et de la constitution de base. C'est ce que les chinois appellent le « ciel antérieur » (Xian Tian : 先天). Cela fait référence à tout ce qui provient avant la naissance. Il est en relation avec l'inné, avec le congénital, avec la constitution de base. Pour être plus précis, les parents lèguent une partie de leur énergie vitale nommée « Jing », ou essence (精). C'est notre héritage « santé ». Cette essence du ciel antérieur est donc porteuse des forces et des faiblesses de notre l'organisme. C'est ce qui fait qu'une personne nait grande et une autre petite, ayant tendance à maigrir ou à grossir, à avoir une santé de fer ou bien fragile, etc. C'est la facette congénitale et héréditaire de notre terrain. Quand on dit que l'on a depuis toujours une faiblesse du foie ou des problèmes digestifs, c'est très souvent lié à l'essence du ciel antérieur. En général, il est difficile mais parfois possible de modifier cette facette de notre terrain. Les individus qui naissent avec une déficience de l'essence du ciel antérieur ont plus de chance d'être malade. Mais, se sachant plus fragile et s'ils font attention, certains peuvent avoir une vie plus longue que ceux qui disposant au départ d'un capital plus important le dilapide en ayant par exemple, une hygiène de vie déplorable.

L'essence du ciel postérieur : le terrain acquis

Le ciel postérieur (Hou Tian : 后天) fait référence à l'activité postnatale, grâce à laquelle l'individu maintient ses activités physiologiques. Il est en relation avec l'acquis. C'est la manière dont le corps se développe, s'entretient, se défend, grâce essentiellement à l'alimentation et à la respiration. Si l'essence du ciel antérieur constitue notre santé de base, il faut la régénérer, la soutenir par une essence acquise : c'est ce qu'on appelle l'essence du ciel postérieur (Jing Zhi Hou Tian : 后天之精). C'est l'énergie (Qi : 气) qui a pour rôle d'assimiler l'essence acquise. Notre santé dépend, certes de cette dernière, mais aussi de l'énergie vitale qui donne la force à nos organes, à nos métabolismes, qui produit les liquides organiques, le sang… et aussi l'essence acquise. Celle-ci provient principalement de notre alimentation. L'alimentation détermine notre quantité d'énergie et influence notre terrain. C'est pourquoi, la diététique chinoise s'est développée afin non seulement pour nous apprendre à bien nous nourrir mais aussi pour prévenir et aussi guérir les affections. Selon la nature de notre constitution, il est possible d'adapter le contenu de notre assiette, afin d'éviter de tomber malade. C'est une manière de contrebalancer nos tendances pathologiques. Enfin, la qualité de l'air que nous respirons participe également à produire une énergie de bonne qualité. En conséquence, bien respirer, comme l'alimentation influence notre terrain.

Les émotions

Aussi surprenant que cela puisse paraître les émotions ont un fort impact sur notre constitution. Chacune d'elle a un effet sur la qualité du Qi. Plus exactement, elles modifient les mouvements de l'énergie et donc ses conséquences sur le corps. En excès (non pas si elles sont passagères), elles peuvent perturber nos terrain et occasionner des troubles. Par exemple, la tristesse dissipe l'énergie et lèse le poumon, l'excès de joie (excitation) épuise l'énergie et lèse le cœur, les soucis fait stagner le Qi et lèse la rate (le système digestif), la colère fait monter excessivement l'énergie dans le corps et lèse le foie, la peur fait descendre l'énergie excessivement et lèse les reins. Toutes ces émotions, en excès, peuvent modifier notre terrain, induire la perturbation de certains organes et favoriser l'apparition de pathologies spécifiques. L'équilibre émotionnel est donc également important pour prévenir les maladies.

Les traumas, les maladies, l'hygiène de vie…

Par ailleurs, les traumatismes peuvent modifier un terrain. Une ancienne fracture est considérée comme une porte d'entrée, des mois voire des années après l'accident. Une fragilité locale permet au froid et à l'humidité de pénétrer dans l'os ou l'articulation et provoquer une lésion entrainant un rhumatisme.

Toute maladie relativement sérieuse ou récurrente ou trainante est susceptible de léser l'énergie, le sang, l'essence, les tissus, les organes et ainsi de modifier un terrain. Par exemple, un gros rhume mal soigné peut affaiblir les défenses immunitaires au point de rendre l'individu plus sensible au coup de froid. Par la suite, il peut avoir la tendance à attraper de nombreux rhumes durant toute l'année.

Notre hygiène de vie est aussi capitale. Tout surmenage engendre des déséquilibres qui vont fragiliser notre terrain. Selon la médecine chinoise, surmener ses yeux engendre une déficience du sang. Un excès d'inactivité engendre une déficience d'énergie. Une station assise prolongée blesse les muscles. Une station debout prolongée blesse les os. Une marche excessive blesse les tendons, etc. En d'autres termes, tout excès dans notre hygiène de vie (y compris sur le plan alimentaire) induit une vulnérabilité dans notre constitution qui peut se transformer en pathologie.

Les grands terrains

Il est impossible de dépeindre dans le détail l'ensemble des « terrains » décrits par la médecine chinoise. Nous proposons quelques exemples à titre illustratif. Comme toute tentative de classification, les descriptions sont théoriques. Dans la vraie vie, nous pouvons cumuler plusieurs terrains et nous retrouver finalement dans plusieurs « cases ». Plus rarement, certaines personnes sont assez neutres et ne présentent qu'une infime partie des signes clés d'un de ses constitutions. Il est à savoir que chacune d'elle fait écho à des conseils d'hygiène de vie, de diététique voire de remède à base de plantes afin de maintenir la personne dans un équilibre dynamique et éviter que la tendance se transforme en maladie. Ceux qui ont étudié la médecine chinoise verront que les terrains décrit ci-dessous se rapprochent quelque peu de la notion de « syndrome ». En fait, le terrain est le stade où le déséquilibre (le syndrome) n'entraîne pas encore de maladie mais qui malgré tout se manifeste par les signes spécifiques (voir plus bas). Attention, il n'est pas nécessaire d'avoir tous les signes décrits ci-après pour appartenir à ce terrain.

Vide de Yin

Maigreur, bouche et gorge sèches, vertiges, insomnie, fièvre hectique ou fébricule, transpiration nocturne, sensation de chaleur dans les paumes de main ou plante des pieds, bouffées de chaleur, pommettes rouges (souvent sur un teint plus pâle), urines foncées et peu abondantes, selles sèches, langue rouge avec peu d'enduit, pouls Xi (fin), Shuo (rapide)

Vide de Qi

Fatigue, souffle court, voix basse et faible, inappétence, teint pâle et terne, vertiges, palpitations cardiaques, transpiration spontanée, langue pâle, pouls Xu (vide), Xi (fin), Wu Li (sans force)

Vide de Yang

Crainte du froid, extrémités froides, teint pâle, manque de force, fatigue, souffle court, transpiration spontanée, agueusie, urines claires et abondantes, selles molles, langue pâle, pouls Xu (vide), Chen (profond), Chi (lent) ou Ruo (faible)

Vide de sang

Teint pâle et terne ou ivoire, lèvres et ongles pâles, vertiges, palpitations cardiaques, insomnie, engourdissement des mains et des pieds, oligoménorrhée, cycle long ou aménorrhée, langue pâle, pouls Chen (profond) et Xi (fin)

Ces quatre premiers terrains peuvent s'appliquer à tous les organes et engendrer des « sous-terrains » comme le vide du Yin du poumon, le vide du sang du foie, le vide du Qi de la rate, le vide du Yang des reins où des signes concernant les fonctions de ces organes s'ajoutent au tableau général.

Chaleur dans le sang

Agitation mentale, soif sans envoie de boire, fièvre ou fébricule la nuit, hémorragies : épistaxis, purpura, hématurie, selles sanglantes, métrorragie, langue rouge écarlate, pouls Xi (fin) et Shuo (rapide)

Sécheresse du sang

Bouche et gorge sèches, peau sèche, épaisse, rugueuse, prurit, squames, eczéma sec, cheveux secs et cassants, constipation, oligurie, langue rouge et sèche, pouls Xian (en corde), Xi (fin), Shuo (rapide)

Surpression du foie

Humeur cyclothymique ou dépressive, soupirs fréquents, frustrations, irritabilité, colères, douleur en distension de la poitrine, de la région thoracique latérale, de l'estomac, de l'abdomen, du petit bassin ou du plexus solaire, cycle menstruel irrégulier, dysménorrhée, syndrome prémenstruel, pouls Xian (en corde)

Feu du foie s'enflamme vers le haut

Irritabilité, colères, aggravation des symptômes après colère, insomnie, cauchemars, teint rouge, yeux rouges, enflés, douloureux, céphalées du vertex ou temporales ou oculaires, vertiges, acouphènes avec sons aigus et forts, épistaxis, somnambulisme, bouche amère, gorge sèche, constipation, urines foncées, langue rouge ou points rouges sur les bords, enduit lingual jaune, pouls Xian (en corde) et Shuo (rapide)

Humidité chaleur dans le gros intestin

Selles d'odeur fétide ou « acides », parfois chaudes, ou pâteuses ou aqueuses et jaunâtres, sensation de brûlure de l'anus, prurit anal ou hémorroïdes, parfois nausées ou vomissements, sensation de corps lourd, enduit jaune et gras, pouls Hua (glissant) et Shuo (rapide)

Humidité chaleur de la vessie

Mictions pressantes, fréquentes, difficiles, mictions goutte à goutte et en petite quantité, sensation de chaleur à la miction, urines foncées ou troubles ou sanguinolentes ou lithiasiques, souvent odorante, oligurie, langue rouge ou points rouges surtout à la racine de la langue, enduit lingual jaune et gras surtout à la racine de la langue, pouls Hua (glissant) et Shuo (rapide)

Chaleur de l'estomac

Faim importante et fréquente, soif de boisson fraîche, bouche et gorge sèche, digestion rapide, la personne mange beaucoup et reste maigre, douleur épigastrique avec sensation de chaleur, haleine fétide, constipation, gencives tuméfiées et douloureuses ou gingivorragie, aphte, gingivite ou stomatite, lèvres sèches ou craquelées, langue rouge sèche voire pelée en miroir, enduit jaune, pouls Shuo (rapide), You Li (avec force)