Interview de Philippe Sionneau par « La Porte du Ki » (France)

Dans Interview

Initialement paru sur le site http://www.laporteduki.com (France)

LPdK = La Porte du Ki »

PhS = Philippe Sionneau

ddLPdK : Pouvez vous nous parler de l'origine de votre engagement : Qu'est-ce qui vous a amené à la médecine chinoise ?

PhS : C'est une question qu'on me pose très souvent et à laquelle j'ai toujours un peu de mal à répondre ! Très jeune, j'ai été intéressé par tout ce qui était médecine « non conventionnelle ». J'ai étudié un peu la phytothérapie, et je me suis intéressé à la diététique, à la naturopathie, et à l'aromathérapie. J'ai toujours été attiré par les « médecines naturelles » comme on dit, mais sans avoir de projet professionnel derrière. Ce domaine m'a toujours passionné, et pourtant je suis rarement malade, j'ai plutôt une très bonne santé. Autour de moi, il n'y avait pas non plus de grands malades… Je n'arrive pas à trouver la vraie raison pour laquelle la médecine a très tôt captivée mon attention. En tous cas, elle a toujours fait partie de mes grands centres d'intérêt.

Et puis, en étudiant les « médecines naturelles » qu'on a chez nous, un jour je suis tombé sur un livre de médecine chinoise. Ca a été pour moi une révélation. Car, pour la première fois, je voyais un système médical, autre que la médecine occidentale, qui était cohérent et complet. C'était réellement un système médical. Jusqu'alors, tout ce qu'on me proposait n'était pratiquement que des recettes : telle plante, si on avait la migraine, telles granules si on a mal au ventre, telle huile essentielle si on avait un calcul biliaire… Alors que dans le système médical chinois, c'est toute une matrice de pensée qui était proposé et un ensemble théorique qui étudie l'individu de A à Z. On ne parlait pas uniquement de l'approche de la maladie, mais de l'être humain dans sa globalité. Ca correspondait peut être à un questionnement plus personnel, ce qui a considérablement conforté mon envie d'approfondir le sujet. En étudiant la médecine chinoise, j'ai beaucoup appris, autant sur l'aspect technique de la médecine que sur la nature profonde de l'humain. La médecine chinoise est une belle aventure, car je pense qu'elle ne s'adresse pas simplement à l'intellect. Elle touche aussi le cœur. A partir du moment où on l'étudie dans une certaine dynamique traditionnelle, elle rend meilleur.

En outre, ce qui est le plus incroyable, c'est que la médecine chinoise est d'un pragmatisme extraordinaire et d'une efficacité époustouflante. Ceci dans beaucoup de domaines. Bien sûr, il y a des maladies pour lesquelles elle est peu efficace ou peu adaptée. Mais globalement, pour la plupart des troubles pour lesquels on vient nous consulter, on a de bonnes choses à apporter. Ce système médical est très pragmatique. J'insiste là-dessus parce qu'il ne faut pas étudier la médecine chinoise uniquement pour sa philosophie, l'objectif est quand même de soigner des gens. Si notre esprit se bonifie grâce à elle, c'est tant mieux, mais l'objectif est d'aider les gens qui souffrent, c'est le plus important.

LPdK : Pour rester dans le concret, abordons la diététique chinoise : quelles sont les grandes règles à suivre, en matière de diététique, selon la médecine chinoise ?

PhS : La diététique chinoise est un des 4 grands piliers thérapeutiques de la médecine chinoise. Elle est une expression, une des manifestations de la médecine chinoise. Elle ne correspond pas au dernier régime à la mode, elle n'est pas basée sur les idées saugrenues d'un individu mais sur une longue expérience d'au moins 2500 ans de tocouvdietut un peuple très pragmatique.

Il y a deux aspects, en réalité, dans la diététique chinoise. Il y a la diététique du quotidien, ce sont les grandes règles qui permettent d'être au meilleur de sa santé. Et puis il y a la diététique thérapeutique, qui tend à soigner les maladies ou à aider lorsqu'on a une maladie. En médecine chinoise, on utilise plutôt cette dernière. C'est un ensemble de règles alimentaires qui peuvent aider les personnes qui souffrent d'une maladie. On utilise certains aliments, certaines saveurs, certains plats pour aider dans le traitement d'une migraine, d'un syndrome de ménopause, d'acné, ou de l'hypertension artérielle, etc. Par exemple, depuis très longtemps, la diétothérapie chinoise suggère de boire du jus frais de céleri branche pour traiter l'hypertension artérielle. Cette action a été confirmée scientifiquement par le pharmacologue William J. Elliott de l'école de médecine Pritzker de l'Université de Chicago… 2000 ans après les chinois !

Par ailleurs, il y a la diététique pour tout le monde, pour le quotidien. La diététique chinoise propose de grandes règles générales qui peuvent s'appliquer à pratiquement l'ensemble des individus, pour avoir une hygiène de vie optimum. Ce qui est intéressant, c'est que ces grandes règles de base de la diététique chinoise s'appuient sur une expérimentation qui a au moins 2500 ans. Toutes les études nutritionnelles occidentales actuelles démontrent que les grands régimes alimentaires traditionnels sont les meilleurs pour la santé et que nous aurions intérêts à suivre leur sagesse.

Quelles sont les grandes règles ? C'est assez difficile, de les exposer rapidement. On risque d'en donner une idée fausse. Un premier point à comprendre : en médecine chinoise, on considère que l'alimentation est un des deux grands moyens que nous avons pour reconstituer notre corps, régénérer notre énergie. Donc l'alimentation, et ainsi la digestion sont fondamentales pour la santé. Un des plus grands principes de la diététique chinoise c'est de faire en sorte que la digestion se fasse le mieux possible. Plus la digestion est performante, plus nos aliments, à partir du moment où ils sont sains et adaptés à nos besoins, vont favoriser bien-être et santé. Le principe de base est donc de faire en sorte que la digestion se passe au mieux pour capter et profiter au maximum de tout ce qui est essentiel dans le bol alimentaire. C'est pourquoi les chinois se sont posés la question : mais qu'est-ce qui favorise la digestion ? Qu'est-ce qui favorise l'assimilation nutritionnelle ? Ils ont essayé d'observer tout ça et ceci durant de nombreux siècles. Nous sommes chanceux, car aujourd'hui nous pouvons bénéficier de cette longue expérience instantanément…

Il y a un certain nombre de choses qui peuvent favoriser la digestion. Mais pour bien les comprendre, il faut revenir un instant sur la digestion dans la vision chinoise. Elle a pour objectif d'absorber des aliments liquides et solides et de les transformer en une espèce de bouillie digestive, une sorte de « soupe digestive ». C'est à partir de cette « soupe digestive » qu'on va capter les nutriments essentiels pour l'organisme. La digestion, c'est donc une transformation du solide en liquide, et de froid en chaleur. Car la digestion, l'assimilation, se font toujours dans un contexte de chaleur. La digestion pourrait être donc être définie comme une « succession de transformations tièdes ». Cela manque un peu de poésie, mais c'est beaucoup plus profond que ça en a l'air... A partir ce cette constation, nous pouvons tirer les grandes règles fondamentales :

Première « règle » : il vaut mieux manger plutôt cuit que cru . Si on observe bien ce que consomment les chinois traditionnels - je ne parle pas de ce qu'il y a dans les restaurants chinois en Europe, car ils ont rarement à voir avec la cuisine chinoise, et jamais avec la diététique chinoise. - si on observe donc ce qu'on mange réellement dans les familles en Chine, il n'y a pratiquement pas de cru, ou dans une proportion infime.

En général, quand on dit ça dans le milieu des « médecines naturelles », la première réaction est « Oui, mais si les aliments sont trop cuits, ça tue toutes les vitamines, donc les aliments sont vides, donc du coup, on va être malade ». Quelle vision triste de la vie… C'est une approche, à mon avis, d'éprouvette, de scientifique. Si on calcule le nombre de vitamines d'un aliment cuit et cru dans une éprouvette, en effet, il y a une différence. Mais ce qu'on a oublié c'est que l'être humain n'est pas une éprouvette et qu'entre l'aliment cru et l'individu, il y des transformations métaboliques. Et celles-ci sont beaucoup plus difficiles lorsque les aliments sont crus. De plus, l'aliment cru tend à engendrer des gaz intestinaux, des ballonnements, des selles molles, de la fatigue post-prandiale qui sont le signe d'une mauvaise digestion, donc d'une mauvaise production d'énergie. Pas besoin d'éprouvette ou de scientifique, il suffit d'observer… En fait plus on digère mal, plus on doit manger cuit. L'absorption des nutriments dans les aliments cuits (je ne dis pas trop cuit) est bien plus facile. Essayer de digérer du blé cru, du riz cru, du poireau cru, du poivron cru, des lentilles crues… Le cru demande au système digestif beaucoup plus de travail. Alors que si vous consommez un aliment qui est précuit, c'est-à-dire prédigéré, ça l'aide considérablement à finir cette cuisson pour le rendre liquide, afin d'absorber les nutriments.

De plus, l'assimilation des vitamines et des minéraux qui sont dans les aliments crus est peu performante, car le système digestif des occidentaux est faible, à la suite de nos multiples erreurs d'hygiène de vie. Il ne faut pas voir l'alimentation qu'en termes de composants nutritionnels. C'est une vision trop mécaniste du monde. C'est cette vision là qui fait qu'actuellement nous sommes dans une telle panade écologique et humaine. Il faudrait peut être revenir à quelque chose de plus réaliste, de plus vivant, de plus dynamique. On a oublié que l'être humain n'est pas une éprouvette.

2e règle : Il vaut mieux manger plutôt tiède ou chaud (je ne dis pas brûlant !) que froid . Il faut garder à l'esprit que les transformations alimentaires se font toujours dans un contexte de chaleur. En médecine chinoise, on dit que c'est le yang de la rate-estomac, aidé du yang des reins qui transforme les aliments. Qu'est-ce que le yang ici ? C'est la partie chaude et dynamique des organes qui permet, grâce à leur fonction, de transformer un aliment. C'est l'aspect chaud, actif, mobile. C'est ce qui permet les transformations digestives. Quand on mange plutôt tiède, on apporte de la chaleur qui favorise cette digestion. Cela fait partie des choses que les chinois ont observées : si on mange glacé et froid, on digère beaucoup moins bien que si on mange tiède.

LPdK : le « trou normand » avec son sorbet n'est pas recommandé alors… ?

PhS : le trou normand consiste à prendre un peu d'alcool fort au milieu d'un gros repas. C'est l'alcool qui permet de faire un « trou », c'est le feu de l'alcool qui agit. La nature de l'alcool est très yang. De prendre de la glace dans le trou normand est une habitude récente. Le vrai trou normand n'est que de l'alcool fort ! Qu'est-ce qu'apporte le trou normand : du yang !! de la chaleur. Ca va dans le sens de donner un coup de feu digestif dans un gros repas, ce qui permet de relancer un peu le système et de continuer à manger…

Ensuite, il y a d'autres principes fondamentaux. On considère par exemple que les liquides doivent être pris plutôt en fin de repas. Les liquides sont considérés, en général, comme de nature yin. La nature yin, ici, c'est, en simplifiant, le coté rafraîchissant et humidifiant. Par opposition au yang qui est plutôt échauffant et asséchant. Au départ la digestion a besoin de yang, pas de yin. Un excès de liquide en début de repas risque de noyer et de refroidir le feu digestif. Ce fameux yang de la rate, de l'estomac et des reins. Du liquide en début de repas défavorise la digestion. Alors que si on le prend en fin de repas, ça aide. Pourquoi ? Parce qu'on a déjà reçus tous les aliments solides et que les transformations « chaudes » ont commencé à dissoudre le bol alimentaire. En fin de repas, nous sommes prêts à recevoir l'humidité nécessaire pour fabriquer la « soupe digestive » que l'on évoquait tout à l'heure. Quand on dit qu'il faut manger chaud, ça ne veut pas dire manger sec. Donc les liquides à la fin et en petite quantité aident aussi à bien digérer. Nous pouvons observer que traditionnellement les chinois finissent systématiquement le repas par de la soupe ! On ne conçoit pas, en Chine, de faire un vrai repas sans finir par une soupe. Elle peut être claire, ou un peu plus riche, peu importe, mais on finit par la soupe. Mais en revanche, on n'a pas bu avant. C'est une habitude saine qui favorise la digestion, donc l'assimilation, donc la santé.

Ce que je viens de présenter ne sont que quelques éléments à connaître parmi tant d'autres mais cela donne une idée des grands principes. Pour en savoir plus, je vous invite à lire l'ouvrage « Ces aliments qui vous soignent - La diététique chinoise au service de votre santé » qui est un livre simple et compréhensible pour appréhender tous ces mécanismes et les appliquer concrètement dans son quotidien. On l'a fait à l'origine dans l'idée d'aider les gens à comprendre et à appliquer la sagesse alimentaire chinoise.

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LPdK : Pouvez vous nous parler de votre approche, de votre conception du Qi ?

xqix2PhS : Je n'ai pas de conception personnelle du Qi… J'ai emprunté celle de la tradition chinoise. Je ne suis pas assez sage pour savoir ce qu'est le Qi tout seul… Je me suis donc fait aidé par la pensée chinoise. Car bien malin qui sait réellement ce qu'est le Qi. Bien prétentieux celui qui pense savoir ce qu'est le Qi. Je peux simplement vous dire ce que j'en ai cru comprendre à travers mon étude, à travers mon expérience personnelle de ce « phénomène ».

Si on observe un peu ce que raconte la cosmologie chinoise, on dit : Il y a le monde manifesté, c'est notre monde à nous, c'est le concret, c'est celui qu'on peut toucher, dans lequel on vit… Avant ce monde là, il y avait un monde non manifesté. Ca revient un peu à la théorie du Big Bang qui dit : avant que l'univers ne soit créé, on ne peut pas dire qu'il y avait rien, il y avait un potentiel, c'était indéfini. Ce grand Vide comme l'appellent les chinois, n'était pas constitué de vide, mais d'une « matière première » particulière, qu'on appelle justement Qi. Mais cette matière subtile n'était pas différenciée. Elle concentrait tous les potentiels mais n'était pas « active ». Au moment du Big Bang des physiciens, quelque chose s'est passé. On ne peut pas dire pourquoi, on ne peut que le constater. D'un monde intangible, on est passé à un monde tangible. Et on considère que ce monde manifesté provient de la différentiation de deux types de Qi particuliers : qu'on appelle le Yin et le Yang. Ce qui était lourd et dense à créer la terre en relation avec le Yin Qi, ce qui était léger et subtile à créer le ciel en relation avec le Yang Qi. Du non différencié, on est passé à une première différenciation. Depuis, le yin et le yang sont les deux énergies qui constituent l'ensemble de notre monde concret. Ensuite, ces deux Qi se sont mis à communiquer, à interagir, à échanger. L'ensemble des êtres, des objets sont nés de l'interaction entre ces deux types d'énergie. Cette union et cet échange permanents du Yin et du Yang donnent naissance à ce qu'on appelle le « Trois ». Au départ, il n'y a rien. Ensuite, il y a un début de quelque chose, c'est le Un. Ensuite, il y a une séparation entre le yin et le yang, cela fait « Deux ». Le Yin et le Yang communiquent, cela créée un dynamisme particulier : c'est le Trois. Du Trois naît ce qu'on appelle « Wan Wu » c'est-à-dire en chinois les Dix Mille Etres, qui représentent l'ensemble des manifestations dans le monde.

En résumé, le Qi semble être cette grande matière première qui est à l'origine de tout : la matière de cette table devant moi, de ce bureau, de nos os, de nos yeux, de notre cœur, des arbres, de la Nature… tout est constitué par cette énergie. L'énergie est constituée de deux pôle : un plus dense c'est le Yin Qi, un autre plus subtile c'est le Yang Qi. Et de l'interaction entre ces deux Qi fondamentaux naissent tous les phénomènes de notre monde concret. Le Qi c'est avant tout le matériau universel. C'est ce qui engendre la moindre particule de poussière d'étoile et les cellules de notre cerveau, c'est en fait la même chose et nous sommes unis grâce à ce matériau. Nous baignons dans le Qi qui nous unis, sans que nous en ayons conscience. Un mirage temporaire fait qu'on a l'impression d'être séparés du reste de l'univers. Mais en réalité, grâce au Qi, tous les phénomènes, tous les êtres, tous les objets ne font qu'Un, nous appartenons à un grand tout, une grande globalité. En réalité, il n'y a pas de séparation entre nous et les océans, les étoiles, la nature… nous sommes liés. La séparation n'est qu'une illusion temporaire de l'esprit humain. Et certaines pratiques traditionnelles chinoises comme le Tai Qi Quan, le Qi Gong, les arts martiaux, la méditation, n'ont finalement que pour but de reprendre contact avec cette grande unité.

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