Interview de Philippe Sionneau dans Passeport Santé (Québec)
Dans InterviewL'avenir de la pharmacopée traditionnelle chinoise
Une entrevue avec Philippe Sionneau
Source : Christian Lamontagne - PasseportSanté.net (Québec)
Cette entrevue a été réalisée à Montréal, le 16 juin 2002, à l’occasion d’un séminaire donné par Philippe Sionneau.
Quelquefois critiquée en Occident pour des problèmes de contamination ou d'adultération et mise en cause dans quelques incidents ayant parfois fait des morts, la pharmacopée traditionnelle chinoise connaît néanmoins un essor formidable tant en Chine que dans le reste du monde. Nous en avons discuté avec Philippe Sionneau, auteur d’une douzaine d’ouvrages en médecine traditionnelle chinoise et enseignant actif en France, aux États-Unis et au Canada.
PASSEPORTSANTÉ.NET - Pouvez-vous d’abord nous situer le contexte de la pratique de la médecine en Chine et de ce que l’on a appelé la « modernisation » de la médecine chinoise?
Philippe Sionneau – Les Chinois ont commencé à parler de modernisation de la médecine chinoise vers 1950. À cette époque, les autorités ont déclaré qu’il y avait trois voies de la médecine : la médecine occidentale, la médecine traditionnelle et l’association des deux. La modernisation de la médecine chinoise est, en fait, la tentative de rapprocher les deux voies, même si perdure quand même une médecine purement traditionnelle. Aujourd’hui, dans les hôpitaux chinois, il est tout à fait normal d’associer un traitement par antibiotique à un traitement par la pharmacopée traditionnelle. Contrairement à ce qu’on pense en Occident, la médecine chinoise est avant tout une médecine par les plantes. L’acupuncture est considérée comme une branche secondaire pour un grand nombre de maladies parce qu’elle est moins puissante que les plantes.
Lors de mon internat en médecine traditionnelle en Chine, j’ai pu observer qu’on privilégiait la voie traditionnelle pour des problèmes courants ou qui n’ont aucune solution en médecine occidentale, et qu’on associait les deux médecines pour des maladies très graves, comme le cancer par exemple. Je crois que cette association est une voie d’avenir et qu’elle deviendra courante à plus ou moins brève échéance.
PASSEPORTSANTÉ.NET - Est-ce que les concepts et les techniques de la science occidentale sont utilisés en Chine pour étudier la pharmacopée traditionnelle?
P. Sionneau – Beaucoup de recherches utilisent effectivement le modèle scientifique pour tenter de comprendre comment les plantes et les médicaments agissent. En revanche, la plupart des praticiens suivent la tradition. L’Orient a cette capacité de faire cohabiter différents points de vue.
PASSEPORTSANTÉ.NET - Ces dernières années, la qualité de la pharmacopée chinoise a été l’objet de nombreuses critiques en Occident : présence de métaux lourds, adultération avec des produits de synthèse, erreur dans l’identification des plantes, etc. Quelle est l’ampleur de ces différents problèmes?
P. Sionneau – C’est un problème un peu compliqué, mais remettons d’abord les choses en perspective : lorsque la médecine chinoise tue une personne, la médecine occidentale en tue 10 000. Les effets secondaires des médicaments occidentaux et les problèmes générés par ces mêmes médicaments sont sans commune mesure avec le peu d’effets secondaires de la pharmacopée chinoise traditionnelle ou moderne. La majorité des problèmes qui ont été rapportés en Belgique et en France ne sont pas dus aux plantes chinoises, mais à leur association avec un médicament de synthèse occidental, interdit sur le marché depuis 1975.
On a voulu faire porter la faute aux plantes chinoises, mais les responsables du dossier n’ont encore aucune preuve que les deux plantes incriminées sont la cause du problème malgré les recherches de plusieurs équipes de scientifiques à travers le monde.
La médecine chinoise comporte un certain danger du fait de sa puissance, mais elle teste ses produits et ses formules depuis 3 000 ans et connaît aussi bien les interactions bénéfiques que les interactions dangereuses. Appliquée selon les règles, elle ne présente pratiquement aucun risque.
PASSEPORTSANTÉ.NET- Comment expliquez-vous que certains fabricants de produits chinois largement utilisés, comme les Yin Chiao (contre le rhume), An Mian Pian (contre l’insomnie) et autre Pe Men Kan Wan, qui sont basés sur des formules traditionnelles, incorporent parfois des médicaments de synthèse dans leurs formules? S’agit-il d’une forme d’utilisation du « meilleur de deux mondes »?
P. Sionneau – Je pense sincèrement que ce type d’agissement provient de gens qui n’aiment ni la médecine chinoise ni l’être humain. Il s’agit d’une escroquerie comme il y en a, hélas, énormément dans le milieu pharmaceutique. Pour rebondir sur votre formule, je dirais que malheureusement nous ne sommes pas dans le meilleur des mondes... C’est pour cela qu’il est essentiel que les gouvernements réglementent cette profession, mais en demandant l’avis des spécialistes, car des scientifiques qui ignorent tout de la pharmacopée chinoise ne peuvent pas avoir une opinion pertinente sur le sujet.
PASSEPORTSANTÉ.NET- Qu’en est-il des métaux lourds et de l'adultération avec des produits de synthèse?
P. Sionneau – En ce qui concerne les métaux lourds et les produits comme le paracétamol, ce n’est pas un problème de plantes chinoises, mais un problème de malhonnêteté. Cet aspect est le plus noir et le plus trouble dans le commerce des plantes chinoises.
Environ un quart de la population mondiale, Asiatiques et Occidentaux confondus, utilise actuellement des plantes chinoises. Si la situation était aussi grave qu’on le laisse entendre parfois, il y aurait beaucoup plus de problèmes que ceux que l’on rapporte. Il s’agit en réalité d’un problème très marginal.
Par ignorance, manipulation et peur de l’inconnu, des pays occidentaux en arrivent souvent à interdire la commercialisation de plantes qui sont utilisées sans ennui depuis 3 000 ans en Chine. On exclut donc des plantes sans savoir de quoi il s’agit en réalité et on laisse circuler sans régulation des produits qui, à mon avis, sont beaucoup plus dangereux. Il est donc urgent de créer une réglementation, mais en connaissance de cause, en comprenant comment les plantes chinoises agissent, pour éliminer le peu de risques qui existent.
PASSEPORTSANTÉ.NET- N’est-ce pas un peu ce qu’a tenté de faire le gouvernement australien en formulant des normes de bonne pratique de fabrication (BPF) des médicaments chinois? En 1998, on recensait 14 compagnies chinoises dont la production répondait aux normes australiennes tandis que l’on compte plusieurs milliers de petites usines.
P. Sionneau – Les normes australiennes sont avant tout des normes d’hygiène. Mais la bonne pratique de fabrication des médicaments ne repose pas seulement sur l’hygiène. Prenez par exemple l’aconit (Fu Zi). Il s’agit d’un toxique violent, si vous le consommez tel qu’il est dans la nature. Mais si vous le préparez selon les règles pharmacologiques de la médecine traditionnelle chinoise (MTC), sa toxicité disparaît et il trouve une fonction thérapeutique précieuse. Que vous le présentiez ou non en respectant des normes d’hygiène, il demeure dangereux s’il n’a pas été préparé selon les règles de l’art. Un certain nombre de produits de la pharmacopée chinoise intègre une certaine forme de toxicité. S’ils sont utilisés à bon escient, avec des précautions particulières, cette toxicité « aidera » à traiter le patient, sans aucun risque. À la différence de la pharmacopée moléculaire occidentale, la pharmacopée chinoise possède une grande maîtrise du bon usage de la toxicité de certains de ses produits. Cela dit, il faut aussi savoir que ces produits « à risque » sont très peu nombreux et que la quasi-totalité des remèdes ne présente aucun danger.
PASSEPORTSANTÉ.NET- En 1996, le ministre chinois de la Santé, M. Zhang Wenkang, a dit que le gouvernement de Chine visait explicitement la création d’une multinationale du médicament traditionnel chinois. Voyez-vous, comme lui, une place pour la pharmacopée traditionnelle chinoise en Occident?
P. Sionneau – La plupart des grands groupes pharmaceutiques occidentaux investissement actuellement beaucoup d’argent en Chine pour tenter de comprendre pourquoi et comment agit la pharmacopée traditionnelle chinoise. Ils savent très bien qu’il y a des découvertes fabuleuses à faire dans toutes les pharmacopées traditionnelles.
En ce sens, même si elle a 3 000 ans, la médecine traditionnelle chinoise est une médecine d’avenir. Dans certains domaines, elle a des réponses supérieures à celles des molécules de synthèse. Il ne s’agit évidemment pas de rejeter la médecine occidentale, ce qui serait absurde, mais de prendre le meilleur des deux mondes, de combiner s’il y a lieu, en ayant comme objectif de guérir les patients. On oublie un peu trop souvent que l’objectif de la médecine est de traiter le patient et non pas de faire le plus grand profit possible.
PASSEPORTSANTÉ.NET- Est-ce que, pour en arriver là, la pharmacopée chinoise ne devra pas « passer sous les Fourches Caudines » de la science?
P. Sionneau - Pourquoi pas, si c’est pour nous rassurer et la rendre « scientifiquement » plus crédible. Cela dit, je ne crois pas que la pharmacopée chinoise deviendra meilleure parce qu’on l’aura analysée « scientifiquement ».
PASSEPORTSANTÉ.NET- Pourquoi cela ne la rendrait-elle pas meilleure? Est-ce que vous ne niez pas que les choses puissent évoluer? Vous venez d’écrire « La phytothérapie chinoise moderne ».1 Les formules présentées dans ce livre ne sont-elles pas différentes des formules anciennes?
P. Sionneau - Les solutions que les médecins chinois modernes proposent pour une maladie décrite par la médecine occidentale moderne sont presque toujours basées sur des principes traditionnels. À la différence de la médecine scientifique, toujours à l’affût de découvertes niant souvent ce qui a été fait précédemment, la médecine traditionnelle possède déjà tous les outils essentiels. Le vrai trésor de la médecine chinoise ne sera pas découvert dans 2 500 ans, mais dans des textes qui ont 2 500 ans. C’est une vision du monde complètement différente, l’essentiel étant que les deux points de vue se complètent au lieu de s’affronter. L’urgence, c’est de traiter les gens qui souffrent, pas de faire de la politique, ni de la philosophie ou du commerce...
Le seul aspect très « contemporain » de mon livre est qu’on y mentionne que certaines substances agissent sur certaines bactéries, peuvent faire baisser la fièvre ou la glycémie, augmenter les globules blancs ou les globules rouges, augmenter la tension, etc. Si les recherches scientifiques peuvent nous apporter un complément d’information nous aidant à faire un choix encore plus astucieux, pourquoi pas? Mais la démarche fondamentale en médecine chinoise restera le diagnostic traditionnel sans lequel il est impossible d’appliquer des solutions thérapeutiques adaptées et pertinentes.
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1. Sionneau, Philippe. La phytothérapie chinoise moderne. Guy Trédaniel Éditeur.
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