À propos du ciel antérieur (xiān tiān 先天) et du ciel postérieur (hòu tiàn 后天) - PARTIE 2
Par Robert Hawawini
Cet article est la suite de À propos du ciel antérieur (xiān tiān 先天) et du ciel postérieur (hòu tiàn 后天)
Dans l’article précédent, nous avons établi les réalités des Ciels antérieurs et postérieurs. Nous avons compris que chercher une antériorité temporelle à la position du Ciel antérieur est une erreur. Le Ciel antérieur est assimilé au yuanshen, la vacuité immobile du Feu empereur. Au-delà de l’espace et du temps, il reçoit les ordres du Ciel et loge dans le Cœur. Il se vit dans le présent immobile de notre vie incarnée. Le Ciel postérieur est assimilé au zangshen, Feu ministre inscrit dans le mouvement de l’espace-temps. Il agit les ordres donnés par l’empereur et loge dans le mingmen aux Reins. Le Feu empereur est une partie du mingmen et du Feu ministre. C’est capital de comprendre qu’à l’intérieur de notre enveloppe corporelle, nous avons deux consciences : une immobile, invariable, inaltérable qui observe une autre, en constant mouvement et transformation. Mais dans notre monde tourné vers l’apparence de la matière, son mouvement, son accélération ; nous avons perdu, oublié, refoulé, le mot est secondaire, notre conscience immobile.
Nous allons compléter maintenant ces notions en fonction de notre propre expérience intérieure.
Rappelons qu’à l’état fœtal, les deux yeux du fœtus - ses yeux physiques ou sensoriels - et l’œil du destin, le mingmen, représentant toute l’histoire de la lignée familiale et ancestrale, se font face. Il s’agit d’un face-à-face direct, immédiat, sans intermédiaire intellectuel et cognitif.
Nous avons nommé les yeux sensoriels, le premier œil ; le mingmen, le deuxième. Insistons pour dire qu’avant la naissance, la vision est directe. Elle se fait par l’intermédiaire du yuanshen, le troisième œil. Ici, il n’y a pas de dedans et de dehors. Les deux sont confondus dans le même regard du troisième œil qui est lumière et vision. Le fœtus voit l’intérieur de sa mère et de son père par l’intermédiaire de la représentation que s’en fait celle-là, de sa lignée aussi. Même si cette réalité est difficile à admettre, il faut bien comprendre que, quand bien même les parents présentent un aspect bienveillant apparent, le fœtus voit leur inverse. Il voit là où ses parents mentent ; il voit leur gui ; il voit ce que les parents ne peuvent pas voir d’eux-mêmes. Il ne s’agit pas d’un mensonge moral. C’est l’incontournable dualité à laquelle aucun humain n’échappe. Cette vision de la réalité globale de tout ce que nous sommes est le plus grand espoir de l’humanité. Il nous ramène sur le fait que jamais, à aucun moment, nous pouvons dire que nous n’avons pas été en contact avec la vérité. Toute la sublime œuvre alchimique est construite sur ce fait.
La présence consciente du yuanshen dans l’intervalle fœtal est donc prédominante. Il faut bien saisir qu’il y a toujours trois instances en contact permanent pour accompagner l’ensemble de nos intervalles de conscience, de notre conception à notre mort. Ils ne vont pas tous se manifester consciemment ou avec une égale importance, mais les trois sont toujours présents : les yeux sensoriels et le mingmen font partie du Ciel postérieur, le yuanshen est le Ciel antérieur.
Les taoïstes disent que si le yuanshen du Feu empereur nous appartient en propre, le mingmen du Feu ministre nous est légué par nos parents. Cette affirmation demande commentaire. Nous ne savons pas si elle est stricto sensu vraie. Nous n’imaginons pas un fœtus vierge, pur de toute manifestation antérieure, recevant en lègue un contenu créé par ses parents. Disons-le autrement : comme si ses parents avaient un pouvoir de création. Pour nous, c’est absurde : l’homme n’a pas le pouvoir de créer. Il a uniquement la possibilité de manifester ce qui existait déjà. Quand deux pièces d’un puzzle s’emboitent, on ne sait pas laquelle s’est jointe avant l’autre. Les deux s’enchâssent ensemble ! Aussi, les parents et les enfants naissent concomitamment. Nous arrivons au monde directement dans le deux, dans la dualité du yin-yang. Ce qui s’est passé au-delà de ce deux nous est inaccessible. Nous sommes confrontés à un mystère infranchissable par la pensée. L’acceptation de ce mystère du commencement est corollaire de celui de la fin. C’est alors que nous pouvons dispenser toute notre énergie dans le présent du milieu pour engager l’œuvre de transformation alchimique. Elle nous enseigne un premier acte. Accepter de ne jamais savoir d’où nous venons, pourquoi nous sommes ainsi, pourquoi nous souffrons, met en œuvre la principale condition de libération de notre souffrance dans l’unique présent. Il témoigne de l’immobilité de l’esprit, sous le pouvoir du Ciel antérieur du yuanshen, seule conscience transformatrice et créatrice. Aussi, pour nous, le mingmen n’est pas légué de novo par les parents. Une interaction, une révélation, une interférence réciproque, un lien ; tous ces rapports ne sont pas une cause. L’avant reste un mystère. Entre les parents et l’enfant, personne ne peut raisonnablement dire qui a commencé. À ce niveau d’interaction, il n’y a pas de pensée. Elle reste une construction mentale de sujets adultes. Ils essayent de rendre compte par des concepts d’une situation qui leur est antérieure.
Faisons encore une précision. Elle est importante pour comprendre le mouvement du processus de transformation ainsi que le fonctionnement de la différenciation et des transformations des syndromes. Rien que ça ! Nous les croyons différents alors qu’ils suivent exactement les mêmes déroulements. Ce que le yuanshen est à la lumière, le mingmen est à la chaleur. La lumière donne une vision pénétrante, subtile ; elle permet de voir à l’intérieur de l’autre ce qu’il ne voit pas lui-même ; elle éclaire le fœtus pour voir l’intérieur de ses parents ; elle nous éclaire pour voir notre propre intérieur ; elle éclaire nos rêves même au plus profond de la nuit. Enfin, quand la lumière du soleil a cessé d’exciter nos yeux au moment de notre mort physique, la lumière du yuanshen prend le relais pour continuer d’éclairer le processus de la mort. Quant au mingmen, il est le Feu véritable qui réchauffe l’organisme. L’œuvre alchimique met en action l’interaction entre ces deux Feux : l’un pour visualiser, l’autre pour cuire le contenu de la marmite alchimique. La visualisation est celle des gui. Elle est leur mort spontanée dans le Cœur. C’est l’œuvre au rouge des alchimistes. La cuisson est le mélange et la transformation des ingrédients qui concourent à l’extraction des gui. Elle s’opère dans les Reins. C’est l’œuvre au noir des alchimistes. Le lien entre le Cœur et les Reins se fait par le souffle du Poumon, l’œuvre au blanc. Ceci est un résumé qui demande plus de détails. Nous pourrons y revenir dans un prochain article.
Après la naissance, c'est-à-dire dès la mise en mouvement du souffle, la distance est engagée. Le contenu du deuxième œil se cache en profondeur dans les Reins du Réchauffeur inférieur, au mingmen. C’est le sans forme (wuxing) du qi. Corollairement, l’avec forme (youxing) se manifeste dans le Cœur du Réchauffeur supérieur avec son support apparent, le Sang. Tant que le souffle se meut à sa vitesse physiologique, dépendante de l’espace-temps de ce monde, le contenu apparent du Cœur au thorax et le contenu caché des Reins sous le nombril sont constamment séparés. Le souffle n’a donc pas qu’une fonction de stockage et de diffusion du qi : il refoule en permanence. Et ce caché-ci, n’est pas inactif. Il conditionne toutes nos pensées, nos paroles et nos actions. Il agit les ordres du Feu empereur à notre insu. Les Reins sont autant la racine du qi, du Sang et des Liquides ; que de la pensée, de la parole et des émotions ; de l’apparent et du caché ; de toute dualité qui nous enferme dans la cécité de la forme. Il n’est pas étonnant que les Reins gouvernent la moelle (sui) et le cerveau (nao).
On comprend que les Reins thésaurisent le yin et le yang essentiels. Ils sont les seuls zang à avoir cette fonction. Elle cadre parfaitement avec le fait que les Reins sont les seuls organes doubles et complètement séparés. Le yin matériel contient le caché, l’inaccessible à la conscience apparente. Le yang immatériel répond de tous les processus apparents de la conscience tels que la pensée, les émotions, les sensations, les images mentales dont les Reins sont la Racine.
Revenons à après la naissance : la distance n’est pas immédiatement complète. L’intérieur et l’extérieur ne sont pas complètement divisés. La séparation se façonne sur plusieurs mois. Il existe donc un intervalle de temps où le petit d’homme voit encore directement avec la lumière du yuanshen, l’intérieur de ses parents. Au fur et à mesure que le centre visuel du cerveau se forme, le regard se tourne vers l’extérieur. Le bébé perd sa relation consciente avec le yuanshen. Il engage sa vie, c'est-à-dire ses pensées, ses émotions, ses paroles et ses actions, entre l’apparence consciente de ses yeux sensoriels et la profondeur cachée, à laquelle il n’a plus accès, du contenu du mingmen. Avec son extériorisation, le fœtus oublie les contenus des deuxièmes et troisièmes yeux. Il entre dans la réalité socioculturelle de son continent et de son siècle. Il commence à penser, à symboliser donc et à recouvrir toutes ses émotions et tous ses sentiments par des justifications intellectuelles.
La voie du retour nous engage dans la réminiscence de la période fœtale, de la naissance et des mois qui l’ont suivie. Sous l’égide de la lumière du yuanshen dont le témoin est la conscience immobile présente dans le monde incarné, toutes les étapes de l’alchimie interne concourent à la réapparition des contenus refoulés de ces périodes. Rappelons ces trois étapes : la transformation du jing en qi, du qi en shen et du shen en vacuité.
Pour donner un avant-goût de la richesse des descriptions offertes par les Chinois et de la difficulté de les réaliser, nous avançons les dires suivants. Tant que le souffle se meut, il pérennise l’espace-temps de ce monde. Il maintient constamment séparés les contenus des deux Réchauffeurs supérieur et inférieur. C’est dire qu’il entretient la séparation constante entre ce qui est conscient dans le yang et ce qui est caché et refoulé dans le yin. Toute la subtilité du travail alchimique interne se résume probablement à une seule action : rapprocher le contenu des deux Réchauffeurs supérieur et inférieur. Elle est corolaire du ralentissement du temps. Cette proximité permet à la conscience en cours de travail de rentrer à nouveau en contact avec son contenu caché. Elle reproduit donc la condition du face-à-face de l’état fœtal où aucun intermédiaire ne venait séparer le regard apparent du fœtus avec le contenu du mingmen. Rappelons que le fœtus était à cette époque tout à fait conscient. Et c’est cette conscience-ci qu’il faut maintenant restituer.
Encore un mot sur les Orifices (qiao). Autant physiologiquement, ils tournent notre conscience vers le monde extérieur yang ; alchimiquement, ils tournent notre conscience vers notre monde intérieur yin. C’est dire que les neuf Orifices servent autant à construire notre relation à la vie apparente, relationnelle, qu’à organiser la voie du retour. Il n’y a donc pas de travail intérieur sans travail sur les Orifices du corps : ils servent autant à percevoir l’extérieur qu’à rentrer à l’intérieur. À la naissance et pendant les quelques mois qui la suivent, éclairé par la lumière du yuanshen, le fœtus ne différencie pas le dedans du dehors. Il se vit comme ayant un seul Orifice par où toutes les entrées et sorties passent. Pour le fœtus, élaborer à sa manière sa relation aux autres, ressentir, avoir des émotions et des sentiments, manger, uriner, déféquer ; toutes ces actions sont vécues dans un seul et même Orifice. On le qualifie de primaire. Ce qui pour nous autres adultes est intellectuellement compris comme de l’impur dans les 2 Orifices du bas et du pur dans les 7 Orifices du haut est vécu par le fœtus comme existant mélangé, confondu dans le même endroit. Il s’agit d’un vécu entièrement imaginaire bien sûr, d’une élaboration indifférenciée du hun. Elle influence le shen et manifeste sa présence dans le po en relation avec le jing.
Il faut plusieurs mois pour que le haut, le bas, l’avant, l’arrière et la latéralité s‘organisent consciemment. À ce moment, la différenciation n’est pas correcte : chaque Orifice emporte avec lui une partie du contenu des autres. C’est encore l’œuvre du ou des hun : l’impur envahi les Orifices du haut qui élaborent notre organisation du monde et le pur se perd en bas, il surconsomme le jing et le qi. Cet impur du haut est le voile même que nous mettons entre notre vision extérieure, matérielle, grossière du monde et notre réalité intérieure qui est plus subtile. Elle est analogue à l’expression « fermeture des Orifices ».
Des Orifices fermés sont comme une porte fermée. Or, sa fonction est toujours duelle : elle n’a de sens que si elle ouvre et ferme. Sans cette double action, elle condamne la communication. Nous ne pouvons pas ne pas voir la relation avec « l’ouverture » du taiyang et du taiyin, « la fermeture » du yangming et du jueyin, « la charnière » qui permet de communiquer du shaoyang et du shaoyin.
L’œuvre alchimique, la voie du retour, le travail sur soi demandent à retraverser l’Orifice primaire pour « remettre à sa place » le contenu de chaque groupe, en haut et en bas, d’Orifices. Elle a donc une action directe sur l’organisation des six méridiens, par extension, des zang, des fu et des sanjiao.
Nous avons mis en place un ensemble de structures qui permettent l’élaboration et la compréhension des trois étapes. Nous verrons leur déroulement dans un prochain article.
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