Cher Philippe,
Il y a quelques années, nous avons eu un échange à propos de la pensée chinoise et de la réincarnation. Tu avais signifié qu’elle ne faisait pas partie du discours taoïste, elle concernait le bouddhisme uniquement.
Une amie vient de passer 15 jours dans un temple taoïste et j’ai les enregistrements de l’échange avec le maître. On entend sa voix en chinois alternant avec celle du traducteur en français. Il décrit les gui, les hun et les po placés clairement dans la perspective de la réincarnation.
Amitiés.
Oui de nombreux “taoïstes” sont influencés par le bouddhisme. Il y a une forme d’influence subtiles entre confucianisme, taoïsme et bouddhisme en Chine. Dans le taoïsme originel, on ne parle pas d’incarnations successives. On parle du retour vers le monde non-manifesté. C’est la théorie du retour de Lao Zi.
Au-delà de cette anecdote sans importance, ce qui me frappe le plus est que beaucoup de traditions parlent de la “voie du retour” vers le non-manifesté, l’indifférencié, le non-créé, etc… Le soufisme notamment, le dit évidemment en terme de retour vers Dieu. Mais qu’importent les mots, c’est leur esprit qui nous intéresse. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, rien n’est plus proche du soufisme que le taoïsme. La première phrase de la première sourate du coran est une sublime formalisation sous l’aspect de lettres, de la voie du retour. Ce que je veux dire par là est que, dans les langues sémitiques, les lettres sont le support de la science de cette voie. Il n’y a pas, par exemple, une théorisation du corps comme support, à l’instar du discours taoïstes. Chaque civilisation a emprunté le chemin qui lui est adapté pour arriver aux mêmes conclusions.
Passionnant !
Et ce qui est encore plus passionnant est que chaque civilisation a construit son rapport à elle-même et à l’autre en fonction de son support.
Pour permettre une ouverture extraordinaire vers la dimension du Ciel antérieur par les lettres, la civilisation arabe a été obligée de rigidifier son rapport apparent aux lettres et de nier le corps. Inversement, pour permettre une ouverture extraordinaire vers la dimension du Ciel antérieur par le corps, la civilisation chinoise a été obligée de rigidifier son rapport apparent au corps et de nier la lettre qui n’existe pas dans le monde Chinois. C’est un résumé bien sûr, mais on n’est pas en train d’échanger dans un cours d’alchimie interne !
Vive l’altérité !!
Merci beaucoup pour ta réflexion éclairante.
A relire ma réflexion, je mettrais des mots moins extrêmes, bien que la pensée fondamentale reste valable.
Nier le corps par exemple, peut devenir plus simplement ne pas avoir élaboré un discours sur le corps.
Rigidifier la lettre ramène sur le caractère absolu attribué aux enseignements religieux et canoniques qui ne laissent pas de place à l’interprétation, ce que nous qualifions d’esprit de la lettre par rapport à la forme. D’une certaine manière, l’espace d’ouverture extraordinaire de la langue arabe est plus dans la science des lettres, son aspect ésotérique, caché et tourné vers le Ciel antérieur, que dans sa formalisation grammaticale apparente tournée vers le Ciel postérieur. On retrouve cette particularité dans la langue hébraïque qui, comme l’arabe, est dite sémitique.
Nier la lettre pour le monde chinois ramène sur le fait que son langage est fait d’idéogrammes qui n’ont pas deux faces tournées vers chaque Ciel, antérieur et postérieur. Les Chinois ont plutôt investi le discours sur le corps pour rendre compte des deux Ciels, à l’instar des Indiens avec les chakras.
Tout se passe comme si les sémites se servaient de la face cachée de leur alphabet pour construire le corps, en remplacement d’un discours direct sur celui-ci. Attention, il ne s’agit pas des lettres vues avec les yeux apparents, mais de leur aspect caché dans le mingmen, le 2e œil. C’est la face tournée vers le Ciel antérieur, support des déséquilibres énergétiques.
Veux-tu que j’aille plus loin ?
Moi, oui ! Je me régale
Attention, les âmes sensibles devront s’abstenir de lire la suite où à leurs seuls risques et périls.
Ai-je l’autorisation de Philippe pour continuer ?
Oui, oui, oui !
En avant Trebor !
D’accord pour aller plus loin, mais ça ne s’écrit pas facilement. Il faut trouver les mots qui conviennent pour témoigner d’une manière compréhensible. Je demande donc du temps, que le Ciel prenne la décision de me faire y aller.
Bon… je me lance et inchallah !
Le premier œil est sensoriel, tourné vers l’extérieur, il nous informe des distances, des couleurs et des formes. Tout le monde le vit.
Le troisième œil est incréé, on le dit spirituel. C’est le yuanshen, la vacuité créatrice du ciel antérieur. Le temps y est aboli, toute forme matérielle ou immatérielle, symbolique, aussi. Le regard du 3e œil est sans ombre, il est lumière qui éclaire et feu qui réchauffe. C’est le feu inné qui, dans le ciel antérieur, donne naissance à l’eau (il réchauffe le sang), tandis que dans les cinq mouvements, c’est l’inverse. On voit cet œil avec son propre regard où l’observateur et le regard sont les mêmes. C’est dieu, allah, élohim, cyborgue, brahman et tout ce que vous voulez ; de toutes manières, tous ces mots sont faux. Depuis que le monde existe, une poignée d’hommes contemplent cet œil dont, d’ailleurs, le monde n’imagine même pas sa réalité.
Le grand problème qui défini le neidan est de passer du 1e œil au 3e, càd de traverser le 2e œil.
Voici comment il se forme. Quand nous sommes sortis du 3e œil, le temps a commencé à se mouvoir et là, nous avons “ramassé” les gui. Attention, nous sommes toujours dans le ciel antérieur. A la conception, l’entrée dans le ciel postérieur, nous arrivons avec nos gui et nous nous confrontons à ceux de toute l’histoire de notre lignée. Il y a donc un soi et un autre, notion qui n’existe pas dans le ciel antérieur. Nos gui et ceux de nos parents-lignée sont pareils et/ou différents. Ils se logent dans un regard, c’est le 2e œil. Le temps s’accélère un peu. Dans la période fœtale, le 3e œil a déjà été “oublié”, le 1e œil, sensoriel, est constitué et fait face au 2e ; c’est pourquoi les taoïstes disent que les deux yeux se font face. Il ne s’agit pas des deux yeux physiques formant le 1er œil, comme on aurait tendance à le comprendre. Le fœtus n’a pas besoin de lumière pour voir, celle du yuanshen lui suffit ; même s’il est oublié, il est toujours là !
A la naissance, càd lors de l’entrée en scène du souffle, les deux yeux se séparent et le temps s’accélère encore plus. Le 1e œil devient le xing, la forme apparente qui va dans le cœur ; le 2e œil devient le ming qui descend et se cache dans la profondeur du corps, dans les reins, pour devenir le mingmen. On voit pourquoi le mingmen contient des gui ET du yuanshen car tout se fait sous son contrôle.
Tant que le souffle se meut, le ming au xiadantian et le xing au zhongdantian sont constamment séparés. Le souffle mobilise donc ET refoule. Bien que caché, le ming continue d’influencer le xing, càd la parole, le pensée et l’action, par les gui. Quand on voit l’état du monde depuis 10000 ans, ça ne fait pas l’ombre d’un doute. Ce sont les gui qui épuisent le jing dans les excès de toutes sortes. Ils se cachent dans les émotions, les sentiments, les pervers externes, le shen, le qixue, le yin-yang, etc…
Si on veut voir le 2e œil, il faut rapprocher les deux dantian, inférieur et moyen ; càd qu’il faut ralentir le temps : impossible avec les pensées qui cavalent.
Quand on y arrive, alors le 2e œil se voit avec le 1er œil tourné vers l’intérieur. Attention, ce n’est pas un jeu ; peu de gens arrivent à supporter le contenu du 2e œil. Si tel n’était pas le cas, il n’y aurait pas de refoulement. Après la difficile traversée du 2e œil, je n’ose pas employer le mot qui le résume le mieux, càd après quelques dizaines d’années de travail, alors le yuanshen/3e œil commence à apparaître. Quand on le contemple, le temps se ralentit considérablement ; quand on y entre, le temps s’arrête. Et là, on reconstruit à l’envers les mécanismes physiologiques qui ont été perturbés dans la physiopathologie ; c’est ça la voie du retour vers l’indifférencié primordial. Attention encore : dans le yanshen/3e œil, nous existons toujours à l’état singulier. C’est une conscience sans objet extérieur, simplement consciente d’elle-même.
C’est dire que le 3e œil est le plus grand facteur thérapeutique que l’homme n’aura jamais connu. Mais l’humanité n’est pas encore prête à l’entendre.
Je peux continuer encore et encore, à votre libre appréciation.
Magnifique !
Belle pensée !
Je t’invite à continuer à nous faire réfléchir.
MERCI
Les désirs du maître sont des ordres, désordre aussi !! Nous savons que les deux plus grands dangers de l’humanité sont l’ordre et le désordre. Un peu de bordel dans la vie équilibre l’excès d’ordre, à l’instar du yin et du yang qui se mélangent.
Comme il y a trois yeux, il y a trois lumières, trois oreilles, trois écoutes, trois corps aussi. On peut définir autant de subdivisions qu’on veut, ce n’est pas cela qui est important ; c’est de définir des catégories qui permettent de rendre compte d’une manière cohérente un ensemble de mécanismes.
Les trois yeux ont été vus.
Les trois lumières qui éclairent le monde sont celle du soleil, celle de la pensée dont le support est le zangshen et celle de la conscience originelle, le yuanshen. Les deux premières sont acquises, nées et vouées et à mourir. La troisième est innée, jamais née, jamais morte. On ne peut pas comprendre ni transmettre sans symboles. Pensée-zangshen et yuanshen les offrent, cela veut dire qu’il n’est pas indispensable de penser pour symboliser. Ca fait désordre, non ? Mais figurez-vous que les médecins chinois sont rentrés dans le yuanshen pour découvrir tous les concepts qui ont permis d’organiser la médecine chinoise : ceux du zangshen ne suffisaient pas.
Les symboles/concepts/métaphores du zangshen sont indirects, médias, transformés par le raisonnement car le temps y est présent ; ils sont de seconde main. Quand le zangshen pense, il ment, déplace, camoufle, transforme, cache ; sa lumière est autant ténèbres que l’inverse, amour/haine, bien/mal, etc… Nous avons construit une humanité tournée uniquement sur la matière, avec ça : un jour lumière, l’autre ténèbres ; un jour on construit, l’autre détruit ; un jour on aime, l’autre déteste ; etc…, c’est l’incontournable dualité du yin-yang : tout ce que nous faisons depuis 10000 ans.
Les symboles du yuanshen sont directs, immédiats, de première main. Ils rendent compte de l’ordre intérieur et extérieur universel qui sont les mêmes, directement, immédiatement et subitement. Le yuanshen ne sais pas mentir ; étant hors dualité, intemporel, il ne sait rien faire d’autre qu’aimer. Tu cognes, il t’aime ; tu insultes, il t’aime ; tu tues, il t’aime ; tu… n’insiste pas, ne déplace pas, dans tout ce que tu dis, tu penses et tu fais, il t’aime.
Les trois corps sont séparés par trois barrières ou portes. La porte matérielle du périnée, celle du jing, est passée par tout le monde. La porte symbolique ou énergétique du diaphragme, celle du qi, est passée par moins de personnes ; celles qui ont fait un travail intérieur qui leur permet d’accéder à la fonction symbolique du corps. Quant à la porte spirituelle des cordes vocales, celle du shen, le yuanshen, je ne vous fais pas un dessin… Le corps ne reçoit pas l’éclat lumineux de la lumière-sans-ombre, la lumière-d’en-haut, sans être bousculé. Il faut être aidé pour cela car le yuanshen purge le contenu du mingmen et là, on ne rigole pas.
On voit le rapport entre les trois portes, les trois corps, les trois trésors et les trois tandian.
Je m’amuse, c’est mom coté “hun moqueurs” que mes amis connaissent bien, dans les conférences, séminaires, congrès et autres inutilités de ce genre, à bousculer les “maîtres” de qigong et de taijiquan, avec la question suivante. Quand nous augmentons le qi, nous passons du corps grossier sous-diaphragmatique, au corps subtil du thorax-gorge, d’accord, c’est très bien ; le jing se transforme en qi, c’est excellent ; et encore, le qi se transforme en shen, ce qui donne une vision plus pénétrante, ok. Mais nous sommes restons toujours dans la dualité grossier/subtil, toujours dans la dualité du zangshen car, quand on dit que le qi se transforme en shen, il s’agit encore du zangshen. Certes, il est purifié, subtilisé ; toutefois, il reste encore tourné vers les deux lumières acquises du monde.
Mais que se passe-t-il quand on traverse la porte de la gorge ?
Et là, c’est la sidération totale. Le silence est certes extérieur mais, à l’intérieur de chacun, ça doit être le souq oriental aux heures de pointe. Personne ne sait répondre à cette question. Entre les cerveaux agités et les bouches, aucune parole ne sort. Personne n’aurait même imaginé qu’une question pareille puisse exister.
Et pourtant… il y a un petit point d’acupuncture, le 22RM, qui s’appelle “cheminée céleste”.
La prochaine fois, si le maître est d’accord, je vous parlerais ; d’une part, du temps qui s’accélère de haut en bas et qui se ralentit de bas en haut jusqu’à sa cessation dans le niwan ; d’autre part, du sommeil et des dantian.